L'obsession est telle que le régime d'Alger ne se fixe plus de bornes : les entraves administratives, la manipulation des peurs, voire le recours à des manœuvres ténébreuses ne sont plus à exclure. Cette volonté de verrouiller les esprits et les corps s'inscrit dans une logique de survie pour une caste dirigeante terrorisée à l'idée que ses mensonges historiques s'effondrent sous les yeux d'une jeunesse désabusée. Car l'exposition au Maroc réel, loin des fables colportées par les médias officiels, risquerait d'ébranler l'édifice fragile sur lequel repose encore l'autorité d'Alger. La dernière escapade de Rachid Nekkaz au Maroc, théâtralisée à souhait, s'inscrit dans le ballet désespéré d'une oligarchie algérienne prisonnière de ses propres chimères. Personne n'est dupe. Derrière cette provocation, dont le pittoresque cache mal la lourdeur des arrière-pensées, se devine une angoisse d'une nature autrement plus grave : celle d'un pouvoir militaro-sécuritaire effrayé à l'idée que la jeunesse algérienne, livrée à elle-même, puisse contempler le Maroc non plus à travers le prisme déformant de la rhétorique officielle, mais à travers l'évidence des faits. À l'approche de la Coupe d'Afrique des Nations, Alger redoute, plus que tout, que l'arrivée massive de jeunes Algériens en terre marocaine pour encourager leur équipe nationale ne provoque un séisme silencieux, mais irréversible, dans la psyché collective. Car il s'agit là d'une confrontation brutale entre deux réalités : celle, atone, d'une Algérie entravée par ses archaïsmes institutionnels et celle, vibrante, d'un Maroc qui, malgré ses limites et ses luttes, a su se réinventer en échappant à l'étau du dogme révolutionnaire et à la sclérose d'un passé fossilisé. Devant ce danger, Alger s'emploie à refermer les verrous de la peur et de l'hostilité. Sous couvert de vigilance sécuritaire, le régime envisage déjà l'arsenal complet des procédés de dissuasion, y compris les plus iniques, pour empêcher ces jeunes d'observer, de dialoguer et, surtout, de comparer. L'enjeu est immense: ce tête-à-tête avec le Maroc réel, cette immersion dans une société que l'on a présentée comme inférieure, asphyxiée ou corrompue, risquerait de dévoiler aux yeux des visiteurs la supercherie d'un récit forgé depuis plus d'un demi-siècle dans les casernes et les bureaux de la présidence. La nomenklatura algérienne mesure parfaitement ce que ce dévoilement signifie : la perte définitive du contrôle sur l'imaginaire collectif. Ce n'est pas tant le Maroc qui inquiète Alger que ce qu'il révélera, en creux, de la déliquescence algérienne : cette incapacité à traduire, en progrès tangible, les richesses colossales tirées du sous-sol national. La question, que le voyage au Qatar avait déjà fait poindre sans l'imposer, deviendra cette fois inévitable : comment expliquer qu'un voisin dénué de ressources fossiles parvienne à offrir un élan, une visibilité et une sérénité dont l'Algérie, pourtant opulente en hydrocarbures, est cruellement dépourvue ? C'est dans cette crainte panique que s'enracine la stratégie actuelle d'Alger : provoquer, attiser, susciter l'agacement des autorités marocaines jusqu'à obtenir d'elles un remake de la réaction qui a suivi les attentats d'Atlas Asni en 1994 : un rétablissement des visas ou tout autre mesure de restriction symbolique imposée aux Algériens et qui servirait au pouvoir d'Alger de paravent commode à l'isolement imposé aux Algériens. En dépit de son caractère grossier, cette stratégie repose sur un vieux ressort de la politique algérienne : l'exportation des tensions intérieures vers l'ennemi de toujours, ce Maroc façonné comme un repoussoir commode, refuge des frustrations et écran des propres turpitudes du régime. Dans ce plan d'ombres, Rachid Nekkaz occupe le rôle du bouffon utile. Son agitation, faussement candide, lui permet d'endosser l'habit du zélateur, du pourfendeur obsessionnel du royaume chérifien, posture qui vaut brevet de loyauté aux yeux d'un pouvoir friand de telles mascarades. Sa démonstration sur le sol marocain lui offre ainsi l'occasion d'espérer, une fois rentré à Alger, l'octroi d'un strapontin ministériel ou quelque autre ornement du pouvoir, prélude éventuel à une ambition présidentielle à peine dissimulée, dans un pays où la vacance de la vraie gouvernance devient chaque jour plus criante à mesure que s'éteint la figure anémique d'Abdelmadjid Tebboune. Mais c'est oublier que l'histoire, même bridée, conserve parfois sa puissance subversive. C'est la rue algérienne, lasse des subterfuges et des pantins recyclés, qui détient peut-être la clef de l'épilogue. Car nul n'ignore, à Alger comme ailleurs, que les peuples fatigués des faux-semblants finissent toujours par se dresser contre ceux qui s'acharnent à les maintenir dans l'ombre. Le Maroc ne tombera pas dans ce piège, il n'y aura ni visa ni restriction pour nos voisins de l'est. Bienvenue aux jeunes Algériens au Maroc.