Dans un contexte diplomatique incertain et mouvant, des voix dans la presse marocaine ont exprimé des craintes quant à un possible «revirement» de la position américaine sur le dossier du Sahara marocain. La reconnaissance par le président Donald Trump, en décembre 2020, de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud ne dissipe apparemment pas des appréhensions suscitées par le nouveau style de la diplomatie américaine. Des analyses alarmistes évoquent une diplomatie transactionnelle susceptible de remettre en cause des alliances historiques au profit d'intérêts ponctuels. L'éventualité d'un rééquilibrage au profit de l'Algérie est nourrie par le renforcement récent du dialogue entre Alger et Washington. Les relations diplomatiques entre l'Algérie et les Etats-Unis ont été établies en 1962, même si, côté algérien, on essaie de les faire remonter à l'époque de la Régence d'Alger. Cette dernière avait certes reconnu l'indépendance des Etats-Unis en 1783, mais c'est Hassan Pacha, dey ottoman d'Alger, qui avait signé la lettre. À la suite d'une expédition de la marine américaine contre la Régence d'Alger, un traité mettant fin aux raids «barbaresques» contre des navires américains fut signé en 1815 par le dey d'Alger Omar Pacha, un renégat grec né à Lesbos. Si les relations américaines avec la Régence d'Alger furent marquées par les conflits liés à la «piraterie» maritime, elles se distinguèrent à l'époque coloniale par l'hommage qui fut rendu par le président Abraham Lincoln à «l'émir» Abdelkader pour son action humanitaire à Damas et, en 1957, par la plaidoirie du sénateur John F. Kennedy en faveur de l'indépendance algérienne. Dynamique conflictuelle Depuis 1962, la relation bilatérale a connu des phases d'intensité variable, marquées notamment par une forte dégradation et de «violentes diatribes anti-américaines du colonel Boumediene» à la veille de la «guerre des Six Jours.» Après avoir arrêté les livraisons de pétrole aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, pays accusés d'avoir été les complices d'Israël dans l'agression du 6 juin, Alger a pris l'initiative de la rupture diplomatique en juin 1967. L'Algérie avait également mis sous contrôle de l'Etat toutes les sociétés anglaises et américaines. Le communiqué lu à la radio algérienne fut suivi, selon la presse française, de la marche militaire allemande Ich hatte einen Kameraden (J'avais un camarade)... La rupture, emblématique d'une dynamique conflictuelle, prit fin avec la reprise des relations diplomatiques en 1974. L'histoire récente des rapports algéro-américains est jalonnée de tensions et de périodes de refroidissement. L'alignement algérien sur le bloc soviétique durant la guerre froide, avec un approvisionnement militaire exclusivement soviétique, a longtemps été une source de friction. L'hostilité déclarée à la politique américaine au Proche-Orient, le soutien au Polisario et les slogans stigmatisant Israël, désigné jusqu'à peu uniquement comme «entité sioniste», ont contribué à une perception d'antagonisme durable. L'image de l'Algérie a été ternie par les atrocités qui ont été commises durant la guerre civile ou «décennie noire» (1992-2002) et des accusations concordantes de massacres et d'assassinats ciblés. En janvier 2013, le gouvernement américain a émis un avertissement aux citoyens des Etats-Unis pour l'Algérie à la suite de la prise d'otages d'In Amenas. Aujourd'hui encore, les voyageurs américains sont invités à être «particulièrement vigilants» et à éviter de se rendre «dans les zones proches des frontières Est et Sud, ainsi que dans les zones du désert du Sahara, en raison du terrorisme et des enlèvements.» Toutefois, après la mort de Boumediene, l'Algérie a rangé sa panoplie de slogans «révolutionnaires» et a engagé progressivement une démarche pragmatique et volontariste de rapprochement avec Washington. Changement de cap Le lent changement de l'Algérie s'accompagne d'un refroidissement croissant des relations avec la Russie, son fournisseur d'armement. L'Algérie voit d'un mauvais œil l'implication russe dans la zone sahélienne et la considère comme une menace à ses intérêts stratégiques. Elle perçoit l'affaiblissement de sa propre position régionale et la contestation de son influence par les gouvernements des pays du Sahel comme des conséquences directes de l'expansion russe. L'Algérie a fait appel en 2024 à un important cabinet américain de lobbying proche d'Israël pour améliorer son image et renforcer son influence au Congrès américain. Le mouvement s'est fortement accéléré depuis l'investiture de Trump. Alger procède à des ajustements stratégiques dans sa politique étrangère, amorçant une forme de «normalisation» avec les Etats-Unis. Ce réalignement se traduit par l'ouverture d'un dialogue stratégique régulier, l'accueil d'émissaires américains de haut niveau et la signature d'accords économiques et militaires. La coopération militaire, en particulier via Africom et le Trans-Sahara Counter-Terrorism Partnership, s'est renforcée. La participation d'une unité des forces navales algériennes aux manœuvres maritimes communes Express Phoenix organisées par Africom en Tunisie est le signe visible du développement de cette coopération militaire. Le protocole d'accord militaire du 22 janvier 2025 est cependant la manifestation la plus tangible du changement de cap qui s'opère à Alger dans le but de dissiper l'image d'un pays résolument campé dans l'axe russo-soviétique, anti-américain et anti-israélien. Sur le plan économique, le partenariat qui s'est développé entre l'Algérie et des entreprises américaines aide à créer un climat de confiance. Plus d'une centaine d'entreprises américaines sont présentes et actives en Algérie, en particulier dans le secteur des hydrocarbures. Le Maroc et ses atouts Le Maroc demeure l'un des plus anciens alliés des Etats-Unis, ayant reconnu leur indépendance dès 1777. Cette amitié historique est consolidée par une coopération économique dense : le Maroc est le seul pays africain à avoir signé un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Par ailleurs, les manœuvres militaires annuelles African Lion illustrent la solidité du partenariat sécuritaire. La reconnaissance par l'administration Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara, formalisée par une proclamation présidentielle, reste un acquis politique fort. En juillet 2024, l'ambassadrice des Etats-Unis en Algérie, Elizabeth Moore Aubin, dans une interview à un média algérien, et à propos du Sahara marocain, a affirmé que la reconnaissance de la marocanité du Sahara était «irréversible et historique.» Le président Trump vient de nommer un ambassadeur politique à Rabat en la personne de Duke Buchan, un poids lourd parmi ses proches, alors que le poste d'Alger reste vacant, le diplomate de carrière Joshua Harris, qui y a été nommé en mars 2024 par l'administration démocrate, n'ayant pas rejoint son poste. Les appréhensions relayées par quelques médias marocains doivent être relativisées au regard des équilibres stratégiques profonds et de la constance des intérêts partagés entre Rabat et Washington. Enfin, élément à ne pas négliger, la diplomatie algérienne est ce qu'elle est, et elle changera difficilement. Habituée des coups d'éclat et des fâcheries retentissantes, on peut lui faire confiance pour tout faire capoter, tôt ou tard, tant les revirements, les emballements soudains et les volte-face lui tiennent lieu de méthode. Défiant toute logique, cette diplomatie, imprévisible jusqu'à l'absurde, oscille entre sautes d'humeur et coups de sang, au gré d'une politique extérieure aussi brouillonne que brouillée. Que craindre d'un régime en délicatesse avec la quasi-totalité de ses voisins et pratiquant une diplomatie lunaire ?