Les premiers jours de 2025 devaient voir le lancement d'une douane commerciale à Bab Sebta et la réouverture de celle de Beni-Ensar (Melilla), fermée en 2018*. Il n'en a rien été et le ministre des Affaires étrangères José Manuel Albares a expliqué qu'il restait encore des «problèmes techniques» à régler. Cette double mesure est prévue dans la Déclaration conjointe qui a été publiée à l'issue de la visite à Rabat en avril 2022 du chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez. Le paragraphe 3 de la feuille de route énonce en effet que «la pleine normalisation de la circulation des personnes et des marchandises sera rétablie de façon ordonnée, y compris des dispositifs appropriés de contrôle douanier et des personnes au niveau terrestre et maritime.» Bien que les deux villes occupées ne soient pas mentionnées, la référence combinée à «la circulation des marchandises» et au «contrôle douanier ... au niveau terrestre» est transparente. Les autorités espagnoles ont annoncé à plusieurs reprises que l'ouverture/ réouverture des douanes aurait lieu en janvier 2023, mais deux ans plus tard, l'accord n'a pas encore été finalisé. Les négociations entre les deux pays semblent buter sur de sérieux désaccords, à en juger par les dernières péripéties, en particulier au niveau du «point de contrôle» de Beni-Ensar. Côté espagnol, l'humeur était à l'optimisme jusqu'aux premiers jours de 2025. À Melilla, les préparatifs allaient bon train pour la réactivation de la douane commerciale. Tout au long des années 2023 et 2024, différentes autorités espagnoles ont affirmé que les douanes de Sebta et Melilla étaient prêtes, mais que le Maroc tenait à régler des problèmes techniques. Selon ces responsables, tant à Madrid qu'à Melilla, des démarches étaient menées auprès du Maroc pour rouvrir la douane commerciale de Melilla au plus vite. Les mots d'ordre étaient «prudence», «coopération» et «responsabilité» avec le Maroc, «dans le respect et sans agression» car «l'Espagne doit toujours chercher à s'entendre» avec son voisin. La déléguée du gouvernement à Melilla a cependant pris soin de prévenir que la douane commerciale ne sera pas la même qu'auparavant, et qu'il fallait s'adapter aux «nécessités actuelles.» En novembre 2024, un responsable à Melilla avait pressé le gouvernement central d'accélérer les négociations avec le Maroc, en invoquant les difficultés économiques rencontrées par la ville depuis la fermeture de la douane commerciale. Un camion par jour Les détails de l'accord ou l'arrangement auquel seraient parvenus les négociateurs marocains et espagnols ne sont pas connus. El País croit savoir qu'il a été convenu entre les deux pays qu'un camion par jour pourra franchir le poste de contrôle dans les deux sens, à Sebta comme à Melilla. Le Maroc fournirait à la partie espagnole des fruits, des légumes et du poisson, tandis que l'Espagne exporterait des produits d'hygiène et de nettoyage, des appareils électroménagers et des petits articles électroniques. Mais les sources officielles espagnoles ont refusé de répondre aux questions de la presse, tout en se voulant rassurantes sur l'aboutissement des négociations. L'objectif, disent-elles, est d'arriver à une réouverture progressive et par étapes de la douane. Les médias hostiles ont saisi l'occasion pour affirmer que c'est le Maroc qui «fixe des règles» et que si ouverture ou réouverture il y a, elles se feront aux conditions posées par le Maroc. Ainsi, dit-on à Melilla, seuls les produits fabriqués dans la ville et acceptés par le royaume pourront accéder au territoire marocain. Cette condition, selon les entrepreneurs locaux, réduirait à zéro les possibilités d'export car de tels produits n'existent pas. Dans le même sens, les commerçants de Melilla ont fait savoir que si un échange équilibré ne peut pas se faire dans les deux sens, ils y sont «totalement opposés.» À Sebta, où, contrairement à Melilla, il s'agit d'une implantation nouvelle, le passage de Tarajal a été aménagé et doté des infrastructures nécessaires pour l'installation d'un bureau de douane commerciale. Le 8 janvier, des journaux espagnols ont annoncé la réouverture de la douane de Beni-Ensar et le passage d'un camion transportant des articles ménagers et des appareils électriques. Or, il s'est rapidement avéré que c'était une fausse alerte, ce véhicule ayant été refoulé par les autorités marocaines. Le même scénario a eu lieu à Sebta. La frontière, unique industrie de Melilla Ces contretemps et des rumeurs persistantes ont exacerbé la nervosité à Melilla, où la chambre de commerce a fait savoir que, sur la base des informations disponibles, ce qui est proposé «ne correspond pas à un bureau de douane entre l'Union européenne et le Maroc.» Si, côté espagnol, on veut «une frontière qui fonctionne comme n'importe quelle frontière de l'Union européenne», le Maroc ne semble pas partager cette vision. En l'absence d'informations, la presse espagnole se demande si des limitations ne seront pas imposées quant aux catégories des marchandises espagnoles qui seront admises, les quantités autorisées et la fréquence des passages. Pour Madrid, et encore plus pour les deux «villes autonomes», les douanes commerciales sont vitales car il y va de l'avenir de ces vestiges du passé, qui sont menacés dans leur survie par la stratégie et les mesures que le Maroc applique dans le nord du pays. La construction des ports de Tanger-Med et de Nador West-Med a eu pour objectif d'offrir des alternatives aux ports de Sebta et de Melilla. Le développement des infrastructures touristiques et l'implantation de zones industrielles ont réduit la dépendance économique des régions avoisinantes des deux villes. Le coup d'arrêt donné au «commerce atypique», euphémisme espagnol pour contrebande, et la création d'emplois dans l'arrière-pays ont durement impacté Sebta et Melilla, dont l'économie était presque entièrement orientée vers la satisfaction de la demande de la clientèle marocaine. C'est dire que les deux villes sont au bord de l'asphyxie. En 2018, des manifestations ont eu lieu à Melilla aux cris de «Melilla se meurt» et «l'unique industrie que nous avons est la frontière.» Question éminemment politique Pour le Maroc, il s'agit de respecter les engagements qui ont été souscrits avec la partie espagnole dans le cadre d'une feuille de route où les bénéfices sont mutuels. Le journal La Razón affirme qu'il n'y a pas de problèmes techniques mais que «les douanes commerciales de Sebta et Melilla ne seront pas ouvertes tant qu'il n'y aura pas une déclaration expresse du Royaume d'Espagne sur le caractère marocain du Sahara.» Pour sa part, le quotidien El Faro de Sebta croit savoir que «le Maroc exige le contrôle de l'espace aérien du Sahara occidental en échange du déblocage des douanes» de Melilla et Sebta. Notons au passage que ce point figure au paragraphe 7 dans la déclaration conjointe de 2022 : «Des discussions concernant la gestion des espaces aériens seront engagées.» Mais, plus important encore est le souci constant du Maroc de veiller à ne pas paraître cautionner une quelconque «espagnolité» des deux villes. Or, l'établissement d'une douane commerciale pleine et complète est un élément constitutif majeur d'une frontière internationale. La liberté de passage est assurément bénéfique pour la population, aussi bien à Sebta qu'à Melilla, mais, pour le Maroc, l'importation de marchandises n'est pas une nécessité. Au-delà des exigences techniques, la question est évidemment éminemment politique. C'est pourquoi, le Maroc aura certes à cœur de tenir ses engagements, pour autant que la partie espagnole respecte les siens, mais sans aucune concession politique. Un compromis serait une formule se situant quelque part entre une douane commerciale telle que la réclame la partie espagnole et un bureau de contrôle des marchandises rigoureusement encadré. En d'autres mots, plus qu'un «point de contrôle», mais moins qu'une «frontière internationale.» Quoi qu'il en soit, nombreux sont les observateurs en Espagne qui sont conscients que «les relations économiques avec Sebta et Melilla ne seront plus jamais les mêmes.» Tôt ou tard, une réflexion devra être engagée en Espagne sur la situation et l'avenir des enclaves, à commencer par les présides mineurs qui constituent une provocation puérile et inutile. Selon la presse espagnole, l'ancienne douane commerciale de Melilla a été établie en 1956, à la demande, semble-t-il, des autorités marocaines, qui avaient besoin du port de la ville pour exporter le minerai de fer des mines du Rif.