Le Moyen-Orient traverse une phase de transformation accélérée, marquée par l'effondrement ou la fragilisation des alliés traditionnels de l'Iran. Il s'en suit une recomposition des alliances régionales et une intensification des rivalités entre puissances mondiales et régionales, avec des implications directes pour l'Iran. La modification de l'équilibre régional du pouvoir place Téhéran dans une position plus vulnérable. Les sanctions internationales, notamment celles imposées par les Etats-Unis après leur retrait de l'accord sur le nucléaire, continuent de peser lourdement sur l'économie iranienne. L'inflation, le chômage, et la baisse de la valeur de la monnaie nationale restent des préoccupations majeures. Les protestations internes, souvent liées aux conditions de vie, à la corruption et aux restrictions politiques, se sont intensifiées ces dernières années. Le régime est confronté à une opposition croissante, même si elle reste fragmentée. Cette instabilité politique et sociale interne pourrait s'aggraver, mettant à l'épreuve la capacité du régime à garder le contrôle de la situation. Ces contraintes limitent sa capacité à redéployer ses ressources pour affirmer ses ambitions régionales. De plus en plus isolé sur la scène internationale, l'Iran doit, en outre, faire face à l'affaiblissement de ses alliés dans la région. Alliés éliminés L'effondrement du régime syrien, pilier de l'axe chiite dirigé par l'Iran, et la fuite de Bachar al-Assad représentent un coup dur pour Téhéran, qui perd un corridor stratégique reliant son territoire au Liban via l'Irak et la Syrie. L'Iran ne peut plus compter sur Hezbollah, allié clé et autrefois fer de lance de Téhéran au Liban, aujourd'hui laminé par Israël. Le Hamas, soutenu par l'Iran dans sa lutte contre Israël, a vu sa situation se détériorer considérablement. Dans la bande de Gaza, les infrastructures militaires et politiques du Hamas ont été détruites ou neutralisées. Pour l'Iran, le Hamas représentait une ligne de pression contre Israël sur le front sud. Sa perte réduit la capacité de Téhéran à utiliser Gaza comme levier stratégique dans la confrontation avec Israël. Dans la péninsule arabique, les Houthis soutenus par l'Iran ont subi des revers militaires significatifs, en partie grâce à une offensive de la coalition menée par l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. La détente entre Téhéran et Riyad pourrait restreindre davantage le soutien iranien. En Irak, les milices chiites soutenues par l'Iran font face à des pressions croissantes de la part du gouvernement irakien et de la population. L'affaiblissement ou la perte de ses alliés et l'encerclement acculent l'Iran à un isolement croissant. Son influence extérieure est érodée par la conjugaison des pressions extérieures et de sa vulnérabilité économique, ce qui l'oblige à un repositionnement stratégique. Téhéran pourrait être contraint de passer d'une stratégie de confrontation ouverte à une approche diplomatique plus pragmatique, notamment en capitalisant sur la détente avec l'Arabie saoudite et en renforçant ses liens avec la Chine et la Russie. Vulnérable en interne, privé d'alliés dans la région, l'Iran doit en outre faire face à son « encerclement » par ses adversaires régionaux (Israël, Turquie, Arabie saoudite) et à la détermination des Etats-Unis, en particulier à la faveur du retour prochain de Donald Trump à la Maison Blanche. Les relations entre l'Iran et les Etats occidentaux restent tendues, en particulier sur la question du nucléaire. Le rapprochement avec la Chine et la Russie, notamment à travers des accords économiques et militaires, offre certes à l'Iran un petit ballon d'oxygène face aux sanctions occidentales, mais son effet est limité. Des relations plus fortes avec des acteurs neutres ou moins hostiles, comme Oman, le Qatar ou certains pays d'Asie centrale, pourraient aider à desserrer l'étau. La Turquie, qui renforce son rôle de puissance régionale, préoccupée par la question kurde, s'emploie à élargir son influence en Syrie via des zones de contrôle militaire dans le nord. Elle est devenue un acteur incontournable dans les négociations sur l'avenir de ce pays. L'Iran doit désormais composer avec une Turquie plus agressive et mieux implantée dans les dynamiques locales, dans un contexte de rivalité exacerbée dans la région. Mais c'est Israël qui constitue le principal motif de préoccupation de l'Iran. L'Etat hébreu a réussi à limiter les capacités militaires de Téhéran par des cyber attaques et des opérations clandestines, freinant le programme nucléaire iranien, et par des frappes aériennes contre ses infrastructures. Sur le plan diplomatique, Israël a noué des alliances stratégiques avec la Turquie et les pays du Golfe, encerclant l'Iran de rivaux unis par la volonté de contenir son influence. Vulnérabilités iraniennes Israël a démontré à maintes reprises sa supériorité en matière de renseignement en infiltrant les cercles iraniens les plus protégés. L'élimination de figures comme Ismaël Haniyeh à Téhéran, ou les sabotages des installations nucléaires, révèle une profonde vulnérabilité de l'appareil de sécurité iranien. La faible réaction iranienne aux humiliations israéliennes ne reflète pas une absence de volonté de riposter, mais plutôt une stratégie dictée par la prudence et la réalité des contraintes actuelles. Le régime privilégie une approche asymétrique, différée et indirecte pour éviter une escalade incontrôlable qui pourrait lui être fatale. Cette posture, bien qu'humiliante à court terme, vise à préserver ses intérêts stratégiques à long terme. Vulnérable économiquement, sans ressources suffisantes, l'Iran ne peut pas envisager une réponse militaire significative. Les nombreuses guerres par procuration (Syrie, Irak, Yémen, Liban) ont déjà drainé ses capacités financières et militaires. D'autre part, Israël possède une supériorité technologique et militaire significative et peut compter sur le soutien inconditionnel des Etats-Unis. Une confrontation directe exposerait l'Iran à des pertes dévastatrices. C'est pourquoi Téhéran a jusqu'à présent privilégié les opérations indirectes pour éviter un conflit frontal avec Israël. L'Iran a préféré une approche à long terme, visant à user Israël par des actions indirectes pour minimiser les risques de représailles. Privé de relais fiables dans la région maintenant que ses proxies ont été éliminés ou affaiblis, l'Iran pourrait se concentrer sur sa sécurité intérieure et ses frontières immédiates, tout en cherchant à stabiliser ses relations avec ses voisins pour éviter une escalade. Téhéran pourrait changer de stratégie et opter pour un repli tactique jusqu'à atteindre un seuil critique dans ses capacités nucléaires. Dans l'immédiat, l'Iran s'emploiera à concentrer ses efforts sur la poursuite de son programme nucléaire, qui constitue une forme de dissuasion ultime face à Israël. À cet égard, Téhéran tente de se positionner comme un acteur modéré cherchant à éviter une guerre. Un conflit armé compromettrait ses efforts pour alléger les sanctions ou améliorer ses relations avec certains pays. Ses vulnérabilités militaires, économiques et politiques obligent l'Iran à faire momentanément profil bas. Une réintégration dans le système international passera nécessairement par un compromis sur le nucléaire, une baisse de l'activisme international et une ouverture politique. C'est dans ce cadre qu'il faut situer les discrètes démarches iraniennes d'apaisement en direction du Maroc.