En dépit de la fin heureuse de la story des marins britanniques arrêtés par l'Iran, et la décision de Londres de résoudre toutes les éventuelles crises à travers le dialogue, il ne semble pas que l'administration américaine soit prête à réviser ses positions, encore moins ses plans militaires. Bush, pour mettre tout le monde devant le fait accompli, est capable de créer la surprise en frappant l'Iran. La fin de la crise des marins britanniques est transformée en une opération de charme menée par le président iranien Mahmoud Ahmedinejad, qui a fait savoir que ce geste est un «cadeau au peuple britannique». Ce dernier a été même au courant de cette libération avant le Premier ministre, Tony Blair, qui a entendu l'information dans les médias. Un coup de maître, constatent les analystes politiques. Ils estiment que le «cadeau» d'Ahmedinejad est multiple. Il va en direction de l'Occident et des Iraniens. Il s'agit d'une démonstration de force sur le plan interne, et d'une tentative visant à convaincre les Etats-Unis et ses alliés de réfléchir autrement. Force est de souligner que l'arrestation des marins s'est accompagnée d'une hausse de ton de la part de Washington. Celle-ci évoquait une imminente frappe militaire. Dans ce contexte, l'armée américaine a mobilisé ses flottes maritimes dans les eaux du Golfe alors que le Conseil de sécurité a adopté des sanctions économiques supplémentaires consistant, entre autres, à geler les avoirs des chefs de la Garde révolutionnaire iranienne. Quoi qu'il en soit, si l'arrestation des marins britanniques était un pur hasard ou si elle avait été planifiée d'avance, l'Iran ne peut qu'utiliser cette carte pour atténuer les pressions exercées par l'Occident. Ce, à travers l'ouverture d'un sérieux canal avec la Grande-Bretagne. Une ouverture qui pourrait toucher les Etats-Unis. D'autre part, et en tout état de cause, le pouvoir des conservateurs en place s'est renforcé aux yeux des Iraniens. Ces derniers peuvent croire maintenant que leur régime est capable de bien traiter avec l'Occident et utiliser un pragmatisme exceptionnel pour éviter le pire. Ce dernier bras de fer avec les Britanniques a, en fin de compte, rassemblé les conservateurs et réformateurs autour de la position officielle qui a défendu la souveraineté nationale, et a, en même temps, donné aux Britanniques une leçon en matière politique et diplomatique. Cette leçon, d'après les analystes, est un message que Téhéran aurait voulu adresser plus particulièrement aux Etats-Unis, et par là, les encourager à ouvrir les portes à un sérieux dialogue portant sur le dossier nucléaire. Dans cet objectif, Mahmoud Ahmedinejad n'a pas hésité à déclarer que les évolutions de cette crise, ainsi que sa fin, pourrait être un exemple à suivre pour changer les relations avec Washington. Mais le plus important dans ce qui s'est passé, c'est que l'Iran a réussi, à travers cette fin heureuse de l'affaire des marins britanniques, à retirer tous les alibis qui pourraient inciter les Etats-Unis à accélérer sa frappe. Téhéran a anticipé sur cette éventualité en envoyant un cadeau au peuple britannique alors que George Bush affichait un durcissement tout en demandant à son allié, Tony Blair, de ne jamais accepter un quelconque troc de prisonniers avec les Iraniens. En bref, toutes les parties avaient sauvé la face à travers ce geste iranien. Ce, même si Washington tient toujours à affirmer qu'elle ne voit aucun changement dans les positions ni le comportement de Téhéran. Cependant, le secrétaire d'Etat, Condoleeza Rice, déclara, au même moment, qu'elle n'exclut pas une réunion, en tête à tête, avec son homologue iranien, Menouchar Metteki, en marge de la Conférence sur l'Irak prévue, début mai prochain, à Istanbul. D'ici là, Téhéran attend les résultats de son cadeau donné. Les observateurs à Londres estiment que la majorité des centres de décision à Washington n'apprécie pas un nouvel enlisement en Iran, au moins à court terme. Ce, malgré l'insistance de certains milieux de l'establishment américain qui trouvent une nécessité dans l'absorption de la menace nucléaire présentée par la République islamique. En revanche, il y a des voix, aussi bien à la Maison-Blanche qu'au Pentagone, qui préfèrent éviter des frappes de sites iraniens. Ce qui pourra engendrer des massacres. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu'il y a un commun accord selon lequel la frappe ne se reproduira pas. Car les positions des deux parties prouvent le contraire. Manœuvres de toutes parts Par ailleurs, force est de noter qu'en dépit du durcissement officiel américain, émanant de plus d'une source au pouvoir, des positions objectives des centres de décisions qui influencent les affaires étrangères, montrent qu'il y a des divergences significatives entre la préservation des intérêts stratégiques des Etats-Unis dans la région du Moyen-Orient et la possibilité d'attaquer l'Iran. En tout état de cause, les rapports établis par les différents services de renseignements minimisent l'éventualité de cette frappe. Ce, en considérant que le programme nucléaire iranien n'est qu'à ses débuts. Et que les insinuations de Téhéran sur son avancement n'est que du « bluff » visant à arriver à une entente internationale qui fixera le plafond de ce programme. Malgré cette évaluation, notamment après les échecs des services américains qui n'avaient pas réussi à prévoir les attentats du 11 septembre et les perturbations lors de l'invasion de l'Irak, la position prévalant dans les milieux du « State Departement », c'est que les pressions pacifistes exercées sur l'Iran à travers les institutions internationales et les intermédiaires, doivent continuer. Et que les chances de convaincre le régime iranien de faire marche-arrière sur son programme nucléaire ambitieux ne sont pas minimes. Au Pentagone, une inquiétude est ressentie, dans les rangs des généraux, au sujet de la responsabilité d'une nouvelle guerre à l'instar de celle menée actuellement en Irak. Ces derniers qui ont déjà pesé le pour et le contre, ne cachent pas leurs craintes. Surtout que l'armée américaine éparpille ses efforts et ses capacités dans toutes les régions du monde. Par là, toute nouvelle erreur ou échec portera un coup dur à l'establishment militaire américain dans les prochaines années. Ce qui se répercutera sur l'image même des Etats-Unis en tant que première puissance mondiale. D'autant plus que les forces armées, notamment la marine, ont besoin d'être mieux équipées pour rentrer en confrontation avec l'Iran. La préoccupation de l'état-major américain ne se contente pas des considérations traditionnelles. C'est-à-dire des forces armées iraniennes formées de l'armée, de la Garde nationale, des Pasdarans, et autres qui ne constituent pas un danger difficile à gérer face à l'armada et aux bases américaines présentes dans la région du Golfe. La suprématie militaire américaine, à tous les niveaux, est donc indiscutable. Mais le souci majeur c'est le recours des Iraniens à d'autres instruments de guerre traditionnelle. Ce qui pourrait mettre en péril les soldats américains basés en Irak. À cet égard, certains milieux pensent le contraire, en affirmant que Téhéran a déjà usé de tous ses moyens pour nuire à ces soldats. De ce fait, ses capacités dans ce domaine sont épuisées. En dehors du pouvoir exécutif, les deux grands partis, Républicain et Démocrate, se trouvent dans une position similaire. D'une part, avec la nécessité de hausser le ton à l'égard de l'Iran, et de l'autre, de s'aligner sur la position de l'opinion publique américaine fatiguée des guerres qui n'ont abouti à rien, malgré les promesses permanentes du chef de l'Etat et de son équipe. Résultat : les Américains ne sont pas pour l'ouverture d'un nouveau front en Iran, ce, malgré l'insistance d'un courant assez fort appelant à la destruction des capacités iraniennes pour préserver les intérêts des Etats-Unis et d'Israël dans la région. Il y a aujourd'hui une conviction grandissante qui ne voit aucune utilité ni intérêt du déclenchement d'une nouvelle guerre. Dans ce contexte, il semble que les dirigeants Iraniens sont parfaitement conscients des hésitations chez les deux piliers du pouvoir aux Etats-Unis ainsi que de leur capacité d'agir dans les circonstances actuelles. Face à la tension marginale provoquée par l'administration Bush, Téhéran joue presque le même jeu. Les deux belligérants ne franchissent toutefois pas les lignes rouges, au moins pour l'instant. Aucune d'entre elles ne veut voir ses intérêts menacés ou de supporter ultérieurement les conséquences d'une explosion généralisée de la région la plus riche de la planète. Hésitations réciproques Dans cette foulée, les évaluations américaine et iranienne de la situation sur le terrain divergent toujours. Alors que l'équipe Bush considère que la relation entre Téhéran et les groupes armés irakiens constitue une menace directe aux soldats et aux intérêts des Etats-unis, les milieux au pouvoir en Iran, estiment, de leur côté, que l'arrestation de leurs hommes présents officiellement au Nord de l'Irak par les forces américaines est une provocation. D'autant qu'elle représente une tentative de changer les équilibres sur le terrain. C'est le même cas pour le Liban. En effet, alors que les Américains considèrent que la deuxième guerre du Liban était le résultat d'une mobilisation iranienne préméditée qui se poursuit aujourd'hui pour mettre la main sur une partie de la décision de l'Etat libanais, les Iraniens, quant à eux, affirment que la confrontation a été essentiellement une tentative de la part des Etats-Unis pour affaiblir les ramifications iraniennes au pays du Cèdre. La riposte iranienne a été de raviver la tension et paralyser ce pays, ce, pour montrer, une fois de plus à Washington, que la capacité de nuisance de Téhéran est illimitée. Le problème maintenant, c'est que la nature des relations entre les deux parties et leurs alliés réciproques ne permet pas de freiner la détérioration de la situation, ni endiguer une tension qui remonte chaque jour d'un cran malgré le statu quo prédominant. Ni l'administration américaine est capable de montrer son recul, notamment après les revers essuyés quotidiennement en Irak ainsi que les pressions internes exercées sur elle, ni le pouvoir en Iran est capable de montrer qu'il est soumis aux Occidentaux ou qu'il s'est affaibli par le bras de fer en cours, plus particulièrement après l'application des sanctions onusiennes. En dépit des données objectives qui prennent en considération la confrontation d'une part, et les intérêts stratégiques de l'autre, les mécanismes en place aujourd'hui poussent les deux parties vers le clash malgré les intentions, de part et d'autre de sortir du cercle vicieux.