Il fut un temps où, s'agissant du Sahara occidental marocain, la diplomatie algérienne opérait subrepticement dans les organisations internationales ou dans des rencontres bilatérales à l'abri des regards. Désormais, au point où en sont les choses, le régime d'Alger a dû juger qu'il était temps de sortir du placard et agir au grand jour, et c'est tant mieux. Les dirigeants algériens réagissent systématiquement et officiellement dès qu'il est question de plan d'autonomie ou de souveraineté du Maroc, mais ils ont une colère graduée et leur indignation est sélective. Le plan d'autonomie pour le Sahara bénéficie du soutien de plusieurs dizaines de pays. Face à cette déferlante, l'attitude d'Alger a été variable et ses réactions calibrées selon l'interlocuteur. C'est ainsi qu'aucune réaction officielle algérienne n'a été enregistrée à propos des soutiens dont le Maroc a bénéficié de la part de plusieurs pays. Les Etats du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar), par exemple, réaffirment régulièrement la marocanité du Sahara et leur soutien du plan d'autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine ainsi que la préservation de la sécurité et de la stabilité du Maroc et de son intégrité territoriale, sans qu'Alger n'y trouve à redire. Parfois, le gouvernement algérien a recouru à une de ses techniques habituelles, la campagne de presse. Les journaux algériens, pendant un temps, ont multiplié les articles incendiaires, injurieux et diffamatoires, en particulier contre les Emirats, avant de replonger subitement et collectivement dans le silence. Le même mutisme a été observé par Alger à l'égard des autres pays qui se sont prononcés en faveur de l'autonomie au Sahara, qu'ils soient arabes (Jordanie, Comores, Djibouti, Egypte, Irak, Liban, Somalie, Yémen), africains (Bénin, Burkina Faso, Burundi, Côte d'Ivoire, Eswatini, Gabon, Gambie, Guinée, Guinée Equatoriale, Guinée-Bissau, Libéria, Malawi, Niger, RDC, République Centrafricaine, République du Congo, Sénégal, Sierra Leone, Togo, Zambie), européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Hongrie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Serbie, Suisse, Ukraine), américains (Antigua et Barbuda, Chili, Dominique, El Salvador, Grenade, Haïti, Honduras, Paraguay, République Dominicaine, Sainte-Lucie, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Suriname) ou asiatiques (Azerbaïdjan, Israël, Kazakhstan, Kiribati, Pakistan, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Philippines, Turkménistan). Reconnaissance américaine Concernant les Etats-Unis, plutôt que de s'attaquer au géant américain, le mot d'ordre a été de minorer la portée de la décision du président Trump en la qualifiant de «simple tweet», omettant de signaler que le tweet est devenu par la suite une «proclamation présidentielle» affirmant la «reconnaissance» par les Etats-Unis de «la souveraineté marocaine sur l'ensemble du territoire du Sahara occidental» et réaffirmant «leur soutien à la proposition d'autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc comme seule base pour une solution juste et durable du différend sur le territoire du Sahara occidental.» Il est vrai que le soutien du bout des lèvres de l'administration démocrate à cette décision a pu conforter le gouvernement algérien dans sa conviction. L'ambassadeur américaine en Algérie a cependant récemment remis les pendules à l'heure en déclarant que «le président Biden n'a pas changé la proclamation car c'est un fait historique.» A l'opposé, avec l'Espagne, Alger a mis en branle une batterie de mesures coercitives : rappel de l'ambassadeur, arrêt des échanges commerciaux, suspension du traité d'amitié, campagne médiatique féroce contre le président Pedro Sánchez. Sans résultat, puisque, face à une Espagne inébranlable, le régime algérien a fini par revenir à de meilleurs sentiments. Tout est rentré dans l'ordre grâce à la Palestine. En effet, la reconnaissance de la Palestine par Madrid a été le subterfuge qui a permis à Alger de justifier la reprise des relations avec le gouvernement espagnol sans se déjuger. Même réaction intempestive vis-à-vis de la France avec deux communiqués officiels et l'annonce du «retrait» de l'ambassadeur algérien à Paris. Les autorités algériennes donnent à entendre qu'elles n'en resteront pas là et que d'autres mesures de représailles ne sont pas à exclure, pour «laver» ce qu'un journal parisien a appelé «l'affront diplomatique que le gouvernement algérien estime avoir subi.» « L'ire de l'Algérie » Pour soustraire la France à «l'ire de l'Algérie», le même journal suggère que le président français «fasse un geste puissant à l'adresse d'Alger» et «abatte une carte inattendue sur le dossier mémoriel – intention qu'il semble avoir caressée ces derniers mois –, afin d'apaiser l'amertume des Algériens.» «Affront diplomatique», «ire», «amertume» : que de grands mots ! En quoi l'Algérie est-elle concernée? Un pays qui se dit «simple observateur» et qui prétend «défendre un principe» ne devrait pas estimer avoir subi un affront parce que la France n'est pas d'accord avec lui, ni concevoir de l'amertume, encore moins de l'ire. Partant de la formule «pas d'intérêt, pas d'action», une question se pose : Qu'est-ce qui fait réellement courir l'Algérie ? Qu'est-ce qui la pousse à s'enfoncer chaque jour davantage ? Une fois justice faite des allégations mensongères habituelles, comme la défense d'un principe ou les préoccupations sécuritaires de l'Algérie, quel est, en définitive, l'«intérêt à agir» de ce régime ? En 1975, le représentant permanent de l'Algérie auprès de l'organisation des Nations Unies avait fait savoir au secrétaire général de l'organisation qu'«outre l'Espagne en tant que puissance administrante, les "parties concernées et intéressées" dans l'affaire du Sahara occidental sont : l'Algérie, le Maroc et la Mauritanie.» Cette communication avait au moins le mérite de la sincérité. La Finlande, à son tour, vient de considérer le plan d'autonomie présenté en 2007 comme «une contribution sérieuse et crédible au processus politique mené par l'ONU et comme une bonne base pour une solution agréée par les parties.» Pour l'heure, le régime algérien n'a pas réagi et il est peu probable qu'il le fasse. Car, à en juger par les précédents éclats, Alger ne déclenche ses foudres que lorsque deux critères sont réunis : Le pays concerné doit avoir du poids et sa décision susceptible d'avoir un effet d'entrainement ; le pays doit avoir avec l'Algérie des relations telles que le gouvernement algérien peut, ou croit pouvoir, exercer sur lui des pressions. L'Espagne et la France cochent les deux cases. Si Alger a échoué à faire plier l'Espagne, plus vulnérable, gageons qu'il n'aura pas plus de succès face à la France.