Est-il trop tôt pour parler ? les ressorts cachés du conflit silencieux entre l'Algérie et les Emirats font objet, depuis quelques jours, d'une publicité poussée jusqu'à l'excès par les relais du régime de Tebboune. Al-Watan et TSA Algérie, naguère médias d'opposition, survivent désormais grâce aux amers dénigrements adressés aux cibles du pouvoir algérien. La riposte directe contre les Emirats démontre que l'heure était passée des conversations officieuses sur les relations bilatérales exécrables entre Alger et Abou Dhabi. Le parti pris d'intimidation s'affirme chez l'Algérie, qui accuse des «influences occultes» de s'exercer aux Emirats aux dépens de ses intérêts. L'activité diplomatique dépensée par les Emirats en faveur du Maroc et Israël dérange Alger. La visite du roi Mohammed VI au pays le 4 décembre 2023 et les conventions conclues ont provoqué le mécontentement du pouvoir algérien. Le 10 janvier, le Haut Conseil de sécurité (HCS) qui regroupe, autour de Tebboune, les ministères régaliens, le chef d'état-major de l'armée et les responsables des différents services de sécurité, a exprimé, dans des termes qui ne prêtaient pas à l'équivoque, ses «regrets concernant les agissements hostiles à l'Algérie, émanant d'un pays arabe frère.» Sans citer «ce pays arabe frère», qui multiplie les investissements dans le sud marocain. Folie complotiste Depuis début décembre, une double campagne algérienne de fausses nouvelles, — campagne de presse d'abord, campagne politique ensuite, — s'engage contre les Emirats et souligne les activités du pays qui «nuisent aux intérêts suprêmes de l'Algérie», avait noté Echourouk, coquille vide des renseignements algériens. Le Monde, dans un article détaillé, a dénombré les remontrances envers Abou Dhabi, qualifié, en juillet, de «capitale des embrouilles» par le journal arabophone privé El-Khabar. Le quotidien français note également que le 12 décembre 2023, une radio publique a accusé les Emirats d'avoir débloqué 15 millions d'euros au profit du Maroc pour «financer des campagnes médiatiques subversives», avec comme renfort argumentaire des «sources proches du dossier», lesquelles dénoncent «désinformation et d'intox» sur les réseaux sociaux. En difficulté, prisonnière d'un contexte géopolitique explosif, Alger utilise la même rumeur court, portée à travers soit dans les agences officieuses, soit dans les grands quotidiens. Sur le plan politique, Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des travailleurs, citée par Le Monde, a précisé que les Emirats sont devenus une «menace pour la stabilité de l'Algérie», ajoutant, dans une poussée complotiste, qu'ils arment le Maroc et poussent, «avec l'entité sioniste», à la guerre au Maghreb. Les EAU «font aussi la même chose au Sahel, notamment au nord du Mali. Ce pays est dangereux», a tonné Hanoune. Sahara, Israël, Maroc… Le projet marocain de gazoduc Afrique-Atlantique reliant le Nigeria à l'Europe irrite Alger. Ce projet «extrêmement coûteux et difficilement réalisable est fait pour contrarier un autre projet de gazoduc devant relier l'Algérie et le Nigeria via le Niger», prétend le journal El-Watan. Cependant, comme on craint que les journaux ne suffisent pas à véhiculer le message voulu, les cercles officiels algériens entrent en jeu. Le régime insistera surtout sur l'attitude des Emirats et poursuivra dans les milieux diplomatiques la campagne qu'il a ainsi engagée contre un des principaux pays de la péninsule arabique. Alger redoute l'effondrement de l'édifice de ses alliances en Afrique et dans le monde arabe, qui apparaît plus fragile que jamais, surtout après la crise avec le Mali. Très maladroitement, les procédés usées par l'Algérie à l'égard de certains pays ne sont guère défendables. En imputant ses difficultés géostratégiques et régionales à une supposée prodigieuse intrigue nouée contre l'Algérie, Abdelmadjid Tebboune affaiblit moralement son régime et lui donne l'air d'un navire sans pilote ; l'affirmation du HCS contre les Emirats est celle de son isolement, affirmation que rien ne justifiait. France, Espagne, Mali, Niger, Emirats, Maroc : l'Algérie dresse les murs d'obstruction qu'elle veut, ou croit renverser.