Scènes de pillage, véhicules incendiés, bâtiments publics dégradés : le gouvernement français tente vendredi d'endiguer la violence après une troisième nuit d'émeutes et de vandalisme, y compris avec le déploiement de blindés de la gendarmerie. De nombreuses villes françaises, en région parisienne comme en province, portent vendredi les stigmates de cette troisième nuit de violences, souvent le fait d'adolescents. Face à cette violence, déclenchée par la mort de Nahel M., 17 ans, tué par un policier mardi à Nanterre, en région parisienne, le gouvernement a décidé de recourir aux grands moyens, sans toutefois instaurer l'état d'urgence réclamé par une partie du monde politique. Les obsèques de ce jeune homme doivent avoir lieu samedi, a annoncé le maire de Nanterre. A l'issue d'une réunion interminatérielle de crise, la deuxième en deux jours, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé le déploiement de véhicules blindés de la gendarmerie et l'annulation des « événements de grande ampleur » dans tout le pays, afin de dégager des effectifs policiers. Les bus et les trams, souvent visés par les manifestations de violence, seront également à l'arrêt dans tout le pays à partir de 21H00 (19H00 GMT), a annoncé le gouvernement. Le président Emmanuel Macron, qui a écourté son séjour vendredi matin à Bruxelles, avait déjà annoncé un renforcement des moyens pour les forces de l'ordre à l'issue de cette réunion de crise. Il avait aussi appelé à la responsabilité parentale alors que la jeunesse des auteurs des violences a frappé les esprits. « Un tiers des interpellés de la dernière nuit sont des jeunes, parfois des très jeunes », a-t-il observé vendredi, accusant dans la foulée les réseaux sociaux d'attiser cette violence. « Esprit de responsabilité » Une réunion entre le gouvernement et les plateformes numériques est prévue vendredi à 18h30 (16H30 GMT), afin « d'alerter » ces dernières « sur leur responsabilité » dans les violences urbaines qui secouent la France, ont annoncé les services de Mme Borne. M. Macron a dit attendre un « esprit de responsabilité » de ces plate-forme, citant notamment Snapchat et TikTok, où s'organisent « des rassemblements violents » et qui suscitent « aussi une forme de mimétisme de la violence, ce qui conduit chez les plus jeunes à une forme de sortie du réel », selon lui. La mort de Nahel après un refus d'obtempérer au volant a ravivé le sujet des violences policières, dans un pays où 13 personnes sont mortes à la suite d'un contrôle de police l'an dernier, au-delà même des frontières françaises. Lors du point de presse régulier de l'ONU à Genève vendredi, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a pressé la France « de s'attaquer sérieusement aux profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l'ordre ». Une accusation jugée « totalement infondée » par le ministère français des Affaires étrangères. Plusieurs rassemblements publics, fêtes ou autres, seront annulés dans les départements les plus concernés par les violences, qui inquiètent aussi les voisins de la France. Berlin « inquiet » Berlin a exprimé son « inquiétude » face à la situation, et rappelé que les autorités françaises avaient « clairement condamné » la mort de Nahel. Le Royaume-Uni a mis en garde vendredi ses ressortissants contre ces émeutes, qui ont provoqué des scènes de désolation dans plusieurs grandes ou villes moyennes. « C'est la première fois en 25 ans que je vois ça », confie Yvan – qui n'a pas voulu donner son nom de famille -, agent d'entretien dans un magasin de chaussures en plein centre de Paris. Vitrines en miettes, chaussures volées… La boutique comme le magasin d'une célèbre marque de sport américaine à quelques mètres ont été pillés et saccagés en pleine nuit. Dès vendredi matin, Mme Borne a réuni plusieurs ministres, en dénonçant des actes « insupportables et inexcusables ». « Toutes les hypothèses » sont envisagées pour rétablir « l'ordre républicain », y compris l'état d'urgence, avait déclaré vendredi Mme Borne, avant cette réunion, qui n'a pas cependant retenu cette hypothèse, au moins pour l'instant. M. Macron s'est dit prêt de son côté à adapter « sans tabou » le dispositif de maintien de l'ordre. Electrocutés L'état d'urgence, qui permet aux autorités administratives de prendre des mesures d'exception comme une interdiction de circuler, avait été déclenché en novembre 2005 après 10 jours d'émeutes dans les banlieues, déclenchées par la mort de deux adolescents, électrocutés dans un transformateur électrique où ils s'étaient cachés pour échapper à la police. Les nouvelles violences ont elles aussi éclaté après la mort mardi d'un adolescent, atteint au thorax lors d'un contrôle routier par le tir d'un policier. Ce dernier, un motard de 38 ans, a été inculpé jeudi pour homicide volontaire et placé en détention. Une vidéo le montre tenant en joue le jeune homme avant de tirer à bout portant quand la voiture redémarre brusquement. Les troubles sont allés crescendo depuis mardi et se sont étendus à de nouvelles villes dans la nuit de jeudi à vendredi, durant laquelle 492 bâtiments ont été atteints, 2.000 véhicules brûlés et 3.880 incendies de voie publique allumés, selon des chiffres officiels. 875 personnes, souvent très jeunes, ont été interpellées. « Des écoles, des polices municipales, des mairies annexes, des centres sociaux, des bus, des tramways ont été pris pour cible, attaqués, vandalisés, saccagés », a dénoncé la présidente de la région parisienne Valérie Pécresse en dénonçant des actes « intolérables » vis-à-vis des « services publics dont les habitants ont besoin ». Dans le département le plus pauvre de la France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris, « quasiment toutes les communes » ont été touchées, souvent par des actions éclairs, avec de nombreux bâtiments publics pris pour cible, selon une source policière. A Drancy, des émeutiers ont utilisé un camion pour forcer l'entrée d'un centre commercial, en partie pillé et incendié, indique une source policière. A Paris même, une quarantaine de commerces ont été dégradés selon le Parquet. Des magasins du centre-ville » ont été vandalisés », « pillés voire incendiés », selon un policer haut gradé. Un Apple store dans le centre de Strasbourg (est) a également été vandalisé en pleine journée vendredi. Au moins trois villes proches de la capitale ont décidé jeudi d'instaurer des couvre-feux. Le gouvernement avait pourtant annoncé la mobilisation jeudi soir de 40.000 policiers et gendarmes, dont 5.000 à Paris (contre 2.000 la nuit précédente).