Le Sénat avançait laborieusement jeudi dans l'examen de la réforme des retraites, après l'adoption la veille du report à 64 ans de l'âge de départ, sur fond de grèves persistantes, de blocages épars et d'interrogations grandissantes sur l'existence d'une majorité à l'Assemblée nationale. Suspensions de séance, multiplication des rappels au règlement, accusations d' »insincérité »: les sénateurs ont tardé jeudi soir plus d'une heure à entamer l'examen de l'article 9 de la réforme, qui concerne la pénibilité. A l'origine de ce débat haché, une demande de la présidente de la Commission des Affaires sociales, la LR Catherine Deroche, pour donner la priorité à l'un de ses amendements, mesure qui faisait tomber automatiquement une soixantaine d'autres de la gauche. Accusant la droite de vouloir accélérer au dépens du débat démocratique, la gauche a enchaîné les rappels au règlement, déplorant qu'elle ne puisse pas s'exprimer sur cet « article majeur » de la réforme. « Vous n'avez pas gagné une seule minute avec cette affaire », a ironisé le PS Jérôme Durain. « C'est l'arroseur arrosé », a renchéri son collègue Patrick Kanner. Avec encore 1.120 amendements à examiner, la chambre haute devra mettre les bouchées doubles pour pouvoir voter la réforme d'ici dimanche à minuit. Sur LCI, le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a d'ailleurs reconnu qu'il « n'était pas capable » de dire si le Sénat pourrait aller jusqu'au bout du texte. Auparavant, les sénateurs ont adopté l'extension du dispositif de carrières longues à ceux ayant commencé à travailler entre 20 et 21 ans, pour un départ anticipé à 63 ans. Ils ont aussi voté une proposition de la droite et des centristes instaurant une surcote de pension allant jusqu'à 5% pour les femmes choisissant de partir à l'âge légal de la retraite, mais ayant cumulé les annuités requises dès un an avant. La chambre haute a également réduit les retraites des parents condamnés pour maltraitance. En revanche, un amendement très attendu de M. Retailleau a été remisé à plus tard, au grand dam de la gauche. Il s'agissait que l'extinction progressive des régimes spéciaux de retraite, votée à l'article 2, s'applique aux salariés déjà en poste, sans conserver de « clause du grand-père ». Mais plus de 200 sous-amendements avaient été déposés à la dernière minute par les communistes, et leur discussion aurait pris une grande partie de la journée. – Interrogations sur le 49.3 – A l'issue de la commission mixte paritaire (CMP) prévue mercredi, Elisabeth Borne compte sur un vote des Républicains à l'Assemblée pour approuver la réforme sans avoir à utiliser le 49.3 (adoption d'un texte sans vote). Mais l'évocation de cette hypothèse se faisait de plus en plus insistante jeudi. « Je pense que, à l'Assemblée nationale, il n'y a pas de majorité pour voter cette réforme des retraites », a estimé jeudi matin la patronne du groupe Rassemblement national, Marine Le Pen, pour qui le 49.3 « serait une démonstration de faiblesse ». « Ça peut mettre le feu aux poudres », a de son côté jugé Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Le vote de l'article sur le report de l'âge à 64 ans « ne change rien dans la détermination et les mobilisations », a de son côté averti jeudi Philippe Martinez. Il a fustigé « l'indifférence » et le « mépris » du pouvoir, Emmanuel Macron ayant opposé une fin de non-recevoir à l'intersyndicale qui avait demandé mardi à être reçue « en urgence » à l'Elysée. Les huit principaux syndicats et cinq organisations de jeunesse ont adressé par écrit cette demande au chef de l'Etat, jugeant au passage que le silence de l'exécutif face au mouvement social posait un « grave problème démocratique ». L'intersyndicale a appelé à deux nouvelles journées de mobilisation: la première dès samedi, la suivante mercredi 15 mars, jour de la commission mixte paritaire. -Trains toujours perturbés- La grève se poursuivait jeudi pour un troisième jour dans les transports, les raffineries et l'énergie, où l'alimentation du réseau en gaz est considérablement ralentie en raison des blocages. Environ un tiers des TGV circulent dans l'Hexagone, comme mercredi. En Ile-de-France, le trafic ferroviaire restait très perturbé, avec 80% de trains en moins par rapport à d'habitude sur le RER D et la ligne R du Transilien, notamment. Le trafic devrait rester très perturbé vendredi et ce weekend. Dans le métro parisien, la situation s'améliorait nettement avec un trafic normal ou quasi normal sur la moitié des lignes, pour un retour à la normale vendredi, sauf sur le RER B. Dans le ciel, après plusieurs journées de perturbations, la Direction générale de l'Aviation civile (DGAC) a encore demandé aux compagnies aériennes de renoncer à 20% de leurs vols prévus pendant le weekend dans plusieurs grands aéroports, dont Orly. En Seine-Saint-Denis, des électriciens et gaziers de la CGT ont affirmé avoir coupé le courant du Stade de France et du chantier du village olympique. Mais il n'y a pas eu de coupure de courant au Stade de France, a assuré Enedis. A Paris, plusieurs centaines de jeunes ont manifesté jeudi après-midi à l'appel des organisations lycéennes et étudiantes. Des manifestations ont aussi eu lieu notamment à Rouen ou à Toulouse. Des blocages, souvent partiels, ont été aussi organisés dans plusieurs lycées et universités.