Le Parlement a approuvé un nouvel exécutif dirigé par l'ex-ministre de l'intérieur Fathi Bachagha, tandis que le cabinet en place refuse de céder le pouvoir avant la tenue d'élections. La Libye s'est retrouvée avec deux gouvernements rivaux, mardi 1er mars, après que le Parlement a approuvé un nouvel exécutif dirigé par l'ex-ministre de l'intérieur Fathi Bachagha, défiant le cabinet en place qui refuse de céder le pouvoir avant la tenue d'élections. Lors d'un vote susceptible d'exacerber les tensions entre camps rivaux, le Parlement a approuvé l'équipe de M. Bachagha par 92 voix sur les 101 députés présents, a annoncé son président à l'issue d'une brève séance dans la ville de Tobrouk (est). La séance, initialement prévue lundi mais reportée in extremis pour « apporter des ajustements à la liste gouvernementale », a débuté avec la lecture des noms des membres (29 ministres, 3 vice-premiers ministres et 6 ministres d'Etat), avant un vote à main levée. Cette équipe gouvernementale pléthorique, qui sera théoriquement basée à Tripoli, compte seulement deux femmes. Chaque député devait voter à l'appel de son nom, mais le président du Parlement, Aguila Saleh, un cacique de l'est libyen, a déclaré la confiance avant que la lecture de tous les noms ne soit achevée. La prestation de serment devant le Parlement est prévue jeudi. Une «fraude évidente» Le gouvernement en place à Tripoli, dirigé par l'homme d'affaires Abdelhamid Dbeibah, a immédiatement dénoncé dans un communiqué une « fraude évidente dans le décompte des voix » et affirmé que « le quorum nécessaire pour accorder la confiance n'a pas été atteint ». « Le gouvernement d'unité nationale affirme qu'il poursuivra son action et ne tiendra pas compte de ces futilités », ajoute le communiqué. Déjà minée par les divisions entre institutions concurrentes de l'est et de l'ouest, la Libye se retrouve de fait avec deux gouvernements rivaux, comme entre 2014 et 2021, durant la guerre civile. Le 10 février, le Parlement avait désigné M. Bachagha pour remplacer M. Dbeibah. Or ce dernier a répété à l'envi qu'il ne céderait le pouvoir qu'à un exécutif sorti des urnes, faisant craindre une reprise des hostilités après une relative accalmie depuis fin 2020. « L'éventualité de la reprise d'un conflit est réelle, même s'il pourrait aller crescendo plutôt que d'éclater immédiatement », a commenté sur Twitter Wolfram Lacher, expert de la Libye à l'Institut allemand SWP. « Et voilà la Libye de retour à la case départ avec un gouvernement d'unité nationale à Tripoli sous Dbeibah, dont la légitimité est au mieux discutable, et un autre gouvernement de "stabilité nationale", approuvé sous la contrainte par le Parlement dans l'est », a réagi pour sa part Emadeddin Badi, chercheur au centre de réflexion Global Initiative. Après des années de guerre et de divisions, M. Dbeibah avait été désigné il y a un an, dans le cadre d'un processus de paix parrainé par l'ONU, à la tête d'un gouvernement intérimaire pour mener la transition en organisant des élections présidentielle et législatives. Mais des querelles persistantes ont entraîné le report sine die du double scrutin sur lequel la communauté internationale fondait de grands espoirs pour enfin mettre fin au chaos qui ravage le pays depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011. M. Dbeibah a annoncé la semaine dernière vouloir organiser des élections législatives avant fin juin. Réconciliation nationale Ancien formateur de pilotes d'avion de combat reconverti dans les affaires, M. Bachagha, 59 ans, s'est fait connaître du grand public durant son passage à la tête du ministère de l'intérieur de 2018 à début 2021. Tandis qu'une myriade de milices faisaient la loi dans l'ouest de la Libye, il avait mené campagne pour réduire leur influence, offrant notamment des stages de formation aux miliciens ayant accepté d'intégrer les forces de l'ordre. Il est également l'une des rares personnalités libyennes à pouvoir se prévaloir de bons rapports avec plusieurs pays étrangers impliqués dans le dossier libyen, quel que soit le camp qu'ils soutiennent dans le conflit. En décembre, alors qu'un report de l'élection se profilait, celui qui était candidat à la présidentielle s'était rapproché du camp rival en se rendant à Benghazi, où il avait rencontré le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l'est, au nom de la réconciliation nationale. Il ne s'agit désormais plus d'un conflit est-ouest, mais d'un arrangement entre acteurs clés des deux régions, M. Bachagha étant également soutenu par le président du Parlement siégeant dans l'est.