Les Libyens doivent en principe élire leur président dans dix jours, aboutissement d'un processus de transition parrainé par l'ONU pour pacifier le pays pétrolier nord-africain et le sortir du chaos qui a suivi la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Mais l'organisation de ce scrutin représente un gros défi pour les autorités intérimaires. Et en cas de sa tenue, d'énormes chantiers attendent l'exécutif qui en sortirait. Les élections vont-elles avoir lieu? L'élection du futur président reste très hypothétique en raison des divergences sur la base juridique du scrutin. Le Parlement, basé à Tobrouk (est), a ratifié sans vote en septembre, une loi électorale controversée taillée sur mesure pour le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle de facto l'est et une partie du sud du pays. La loi lui permet de pouvoir retrouver son poste à la tête de l'autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) s'il n'était pas élu. Samedi, l'Autorité électorale a reporté l'annonce de la liste des candidats retenus pour la présidentielle, rendant de plus en plus improbable sa tenue le 24 décembre. Les conditions de sécurité sont-elles réunies? Malgré les progrès politiques enregistrés depuis un an, la sécurité reste précaire. Dans l'Est, le maréchal Haftar a instauré un système très autoritaire, taxé de « dictature militaire » par ses détracteurs. Ces dernières semaines, le processus électoral a été émaillé d'incidents: des hommes armées ont bloqué l'accès au tribunal de Sebha (sud) pour empêcher les avocats de Seif al-Islam Kadhafi, fils cadet de l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi, de faire appel du rejet de sa candidature à la présidentielle. Si ces hommes armés se sont finalement retirés et que la justice a rétabli la candidature du fils Kadhafi, ces incidents ont suscité la « grande inquiétude » du gouvernement intérimaire et de l'ONU. Des doutes subsistent aussi sur la capacité des autorités à protéger les bureaux de vote. Après les incidents à Sebha, le ministre de l'Intérieur Khaled Mazen a laissé entendre que ses services n'étaient pas en mesure d'assurer la sécurité. Sur les réseaux sociaux, des électeurs ont affirmé ne pas avoir trouvé leurs cartes électorales, récupérées selon eux par d'autres, alimentant des soupçons de fraude. Plus de 2.300 cartes d'électeurs ont été dérobées dans cinq bureaux de vote par des hommes armés dans l'ouest du pays, notamment à Tripoli. Les résultats seront-ils acceptés? C'est l'une des principales craintes. En Tripolitaine (ouest), le maréchal Haftar suscite une profonde animosité. Seif al-Islam Kadhafi, sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité, est aussi contesté, de même qu'Abdelhamid Dbeibah, Premier ministre par intérim, qui s'était engagé à ne pas concourir. Que le scrutin soit reporté ou pas, les conditions pour des « élections libres et équitables ne sont pas réunies, les Libyens étant trop divisés pour accepter ou s'entendre sur les résultats », estime Jamal Benomar, ex-sous-secrétaire général de l'ONU et président du Centre international pour les initiatives de dialogue. Quels sont les principaux chantiers d'un futur gouvernement? Les défis restent colossaux après 42 ans de dictature et la décennie de violences post-révolution. L'un des principaux défis sera l'unification des institutions, aussi bien l'armée que la Banque centrale. La rédaction d'une Constitution est également primordiale, la Libye n'ayant plus de Loi fondamentale depuis sa suppression par Kadhafi en 1969. La réponse apportée à la situation des droits humains sera également scrutée: des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ont été commis en Libye depuis 2016, a conclu début octobre une mission d'enquête de l'ONU. Le pays est aussi devenu la plaque tournante du trafic d'êtres humains sur le continent. Des dizaines de milliers de migrants venus d'Afrique subsaharienne en quête de l'eldorado européen, y sont la proie de trafiquants quand ils ne meurent pas en tentant la traversée de la Méditerranée. Sans oublier les attentes pressantes d'une population dont le quotidien est rythmé par les coupures de courant, la pénurie de liquidités et l'inflation. Cela passe par une relance d'une économie fortement dépendante des hydrocarbures et jadis parmi les plus prospères de la région. Le démantèlement des milices apparaît comme enfin une étape clef à la pacification, de même que le départ des quelque 20 000 mercenaires et combattants étrangers stationnés en Libye.