Le conflit au Tigré est marqué par une «brutalité extrême», a dénoncé mercredi 3 novembre la Haute-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, s'inquiétant aussi de l'instauration de l'état d'urgence qui pourrait aggraver encore une situation humanitaire et des droits de l'homme déjà très grave. Michelle Bachelet présentait mercredi une enquête conjointe avec les Ethiopiens, qui conclut à de possibles crimes contre l'humanité commis par toutes les parties. «La gravité des violations et des atteintes que nous avons recensées souligne la nécessité de tenir leurs auteurs responsables, quel que soit leur camp», a estimé à Genève l'ancienne présidente chilienne. Accusation de génocide L'enquête a été menée conjointement par ses services et la Commission éthiopienne des droits de l'homme – créée par le gouvernement éthiopien – sur le conflit qui fait des ravages depuis un an. S'il existe des «motifs raisonnables» de croire que toutes les parties au conflit commis des violations dont certaines «peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité», l'accusation de génocide nécessite de pousser les investigations plus avant a indiqué Michelle Bachelet, lors d'un point de presse. Le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed juge que le document montre «clairement que les accusations de génocide sont fausses et elles n'ont absolument aucun fondement factuel», selon un communiqué du gouvernement. Il juge qu'il balaie aussi les accusations d'avoir affamé les populations civiles. Le document couvre la période du 3 novembre 2020 – quand le premier ministre et prix Nobel de la paix avaient déclenché l'offensive contre les autorités dissidentes du Tigré – au 28 juin, date à laquelle Addis Abeba avait déclaré un cessez-le-feu unilatéral. Sur cette période les troupes fédérales et érythréennes venues leur prêter main-forte ont commis la majorité des violences dénoncées. Mais la situation sur le terrain a depuis beaucoup évolué , y compris l'instauration mardi de l'Etat d'urgence dans tout le pays alors que le gouvernement craint que le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) ne marche sur la capitale. Michelle Bachelet, qui a souligné que les exactions commises par le TPLF avaient nettement augmenté depuis le 28 juin, s'est dite «profondément inquiète» de la déclaration de l'état d'urgence, «qui risque d'aggraver encore la situation des droits de l'homme dans le pays», tandis que de nouvelles restrictions dans l'accès à l'aide internationale, «pourraient faire basculer, pour le pire, une situation humanitaire déjà extrêmement difficile», selon un communiqué. Elle y dénonce aussi de nouvelles exactions commises depuis le 28 juin. Doutes sur l'impartialité de l'enquête L'enquête – qui a connu de nombreux obstacles sur le terrain – a aussi suscité des doutes sur son impartialité d'autant qu'un des enquêteurs du Haut-commissariat a été expulsé par les autorités en même temps que six autres responsables de l'ONU. Réagissant avant la publication, le TPLF a parlé de «méthodologie biaisée qui salit la réputation» du Haut-commissariat. Le gouvernement a vu dans la collaboration avec l'ONU la «démonstration du sérieux» avec lequel il aborde le respect des droits de l'homme. Le rapport dénonce, témoignages à l'appui, des «attaques aveugles» contre les civils, des exécutions extra-judiciaires, de la torture, des enlèvements et des détentions arbitraires ou encore des violences sexuelles et des pillages. Les enquêteurs ont rencontré des survivantes, dont presque la moitié a été victime de viol collectif mais aussi des cas de violences sexuelles contre des hommes et ils rapportent le cas d'un garçon de 16 ans, violé par des soldats érythréens, qui s'est ensuite suicidé. La torture est endémique et le rapport fait aussi état de massacres suivis de représailles qui ont coûté la vie à des centaines de civils.