Dans un monde interconnecté, Barlamane.com propose un regard sur les puissances que l'Afrique intéresse. Cas de la fédération de Russie. L'implication de la Russie dans les pays d'Afrique est liée à ses aspirations au Moyen-Orient, spécifiquement autour de la mer Rouge et de la Corne d'Afrique. La mer Rouge est l'une des routes les plus sensibles du commerce mondial, avec quasi 10% des marchandises qui transitent par elle. Des pays africains la bordent également. Cette mer relie les producteurs d'énergie du golfe Persique, les marchés occidentaux et les industries d'exportation de l'Asie du Nord-Est. C'est en cela que ses points d'accès attisent la convoitise des grandes puissances alentour. Influente en Afrique à l'époque soviétique, la Fédération de Russie cherche dès la fin des années 2000, sous l'impulsion de Vladimir Poutine, à renouer avec ce continent dans les domaines militaire, minier et nucléaire civil. Après la crise ukrainienne de 2014 qui constitue un tournant dans les relations avec la Russie, 2017, marquée par la visite du Premier ministre russe en Afrique du Sud et 2018 quand l'influent ministre des Affaires étrangères va parcourir l'Afrique australe et s'arrêter également en Ethiopie, sont des années charnières. C'est à partir de ce moment que la Russie va miser sur l'approfondissement de la coopération sécuritaire, à travers des accords de défense et le déploiement de sociétés militaires privées, ainsi que sur l'influence médiatique. Cette double coopération attire spécifiquement les régimes africains, anciens amis de la puissance soviétique, qui veulent garder le pouvoir. Le bassin de la mer Rouge, point d'accès Concernant les liens commerciaux, malgré la croissance récente des échanges avec les pays africains et les sanctions internationales prises depuis 2014 date de son annexion de la Crimée, à l'encontre de Moscou, la Russie n'a pas grand-chose à vendre à l'afrique. En témoignent les chiffres que la comparaison avec ceux de la Chine dans le continent illustre mieux : moins de 3,5 milliards de dollars contre près de 200 milliards de dollars pour la RPC. La majorité des experts en relations internationales voient dans les ventes d'armes russes un point d'entrée pour sa diplomatie. La Russie en cela suit l'exemple des ex-puissances coloniales en Afrique qui renouent les relations avec l'élite africaine formée en ex-URSS. En plus du maintien des ex-clients dévoués de la région à la puissance soviétique : l'Algérie et l'Egypte en Afrique du Nord et le Soudan, la Russie depuis la crise de Crimée et le succès de son intervention en Syrie, y a étendu sa présence. En conséquence, et tirant les leçons du passé, les relations (spécialement ventes d'armes) et partenariats sécuritaires entre la Russie et les pays de la mer Rouge se sont développés, avec l'ambition (déçue pour l'heure) pour Moscou d'obtenir des autorisations d'installer des bases dans la région. Là où l'URSS était clairement désavantagée pendant la guerre froide, par rapport à Washington, Londres et Paris, la Russie tente de s'implanter. La rhétorique russe pour convaincre reste inchangée : le pays ne pâtit pas d'image coloniale en Afrique ce que prouve l'ancienne proximité avec l'URSS et l'engagement de celle-ci dans la lutte pour la décolonisation ; la Russie aujourd'hui comme l'URSS hier, offre une coopération dite pragmatique car sans contreparties en termes de gouvernance interne et de démocratisation, contrairement aux USA et aux puissances européennes dont le préalable à la coopération repose sur les réformes. Ainsi, la Russie tout en se démarquant des puissances occidentales, profite du sentiment anticolonialiste des populations. Pour cet Etat qui ne peut se départir de son héritage soviétique, il s'agit également de peser contre les Etats-Unis d'une part, en s'alliant à certaines monarchies arabes proches du pourtour de la mer Rouge (Qatar, pour des raisons hégémoniques de l'axe saoudo-émirati, la Jordanie à travers notamment le rapprochement avec la Syrie, le Koweit suite à un nouveau rapprochement datant d'avril 2021) et surtout à la Chine dont l'influence en Afrique est réelle et grimpante ; et d'autre part, contre notamment la France, bien implantée dans le continent pour des raisons coloniales connues. Dans le cas de l'hexagone, la concurrence ne paraît pas être une tâche difficile, l'ancien colonisateur ayant moins bonne presse, à comparaison égale, que le Royaume-Uni ou l'Allemagne, sa gestion des indépendances et des après-indépendances, son refus de s'excuser auprès des nations meurtries par les exactions commises, ayant conduit aux ressentiments populaires ici et là. Pour rappel, les pays bordant la mer Rouge sont Djibouti, l'Erythrée et le Soudan, l'Egypte, l'Arabie saoudite, le Yemen et la Jordanie. Quant à la corne de l'Afrique, elle désigne une péninsule de l'Afrique de l'Est qui s'étend depuis la côte sud de la mer Rouge à la côte ouest de la mer d'Arabie et englobe la Somalie, le Somaliland, république somalienne dissidente non reconnue par la communauté internationale, l'Ethiopie, Djibouti et l'Erythrée. Dans cette région à la stabilité qui décroit en raison de la proximité de la guerre civile au Yémen et de la recrudescence de la piraterie ancrée en Somalie, plusieurs pays ont déployé leurs forces militaires dans la région, notamment à Djibouti, près du détroit de Bab El-Mandeb sur la mer Rouge. Présence et protection militaires Le succès de l'expédition russe pour protéger son allié syrien a donné un coup de fouet à la crédibilité de Moscou en tant que pourvoyeur de sécurité, en armes et en force de négociation, même pour les pays situés hors l'espace anciennement soviétique. C'est ce qui a incité Moscou à rechercher de nouveaux partenaires pour surmonter l'isolement international auquel elle a été confrontée du fait de la crise de Crimée. Comme d'autres puissances en dehors de la région, la Russie a cherché à coopérer étroitement avec Djibouti, un pays dont la situation stratégique en a fait un point focal d'intérêt pour les grandes puissances. C'est aussi à Djibouti que se trouve la base US AFRICOM, celle de la Chine, l'établissement de la présence militaire Japonaise et installations militaires ainsi que la reconfiguration de la présence militaire française, ancien colonisateur. Si la nouvelle configuration géopolitique autour de la Russie (avec la crise ukrainienne qui a découlé de l'annexion de la Crimée) et le regain de rivalité russo-américaine ont mené Washington à faire pression sur les autorités djiboutiennes pour qu'elle n'installe pas de bases militaires dans leur pays, la coopération entre Djibouti et Moscou en matière de piraterie se poursuit, et le rapprochement entre Moscou et Pékin, premier partenaire commercial et pourvoyeur d'aides à l'Afrique, se maintient. Le Somaliland, pour sa part, qui cherche à être reconnu comme un membre de la communauté internationale en utilisant des partenaires étrangers puissants pour résoudre la question de son statut aurait autorisé l'ouverture imminente d'une installation militaire russe, selon des rapports publiés en janvier 2020, annonce que la Russie a démenti dès le mois suivant. L'Erythrée a de son côté, fait part, en janvier 2020, de la livraison de deux hélicoptères russes acquis en 2019 dans le cadre du renforcement de lacoopération militaire avec Moscou. Moscou a également trouvé d'autres pays potentiellement accueillants, comme l'ancien ami du temps de la puissance soviétique, le Soudan. L'ex-président Al Bachir, pour sécuriser son pouvoir contre toute intervention de l'Occident avait réalisé un accord avec la Russie pour l'utilisation des installations navales de Port-Soudan par la flotte russe en mai 2019. Cet accord est le plus grand succès de la Russie en matière d'installation militaire sur la mer Rouge. Pourtant, l'effondrement du régime d'Al-Bachir en avril 2019 et l'amélioration des relations diplomatiques entre Khartoum et Washington en octobre 2020 vont minimiser la portée et l'avenir de la protection russe pour le pays. Mais en réduisent-elle le point d'accès vers l'Afrique et le Moyen Orient ? rien n'est moins sûr. L'ambition russe en mer Rouge a conduit Moscou à s'engager naturellement avec le Yémen, ami du temps de l'URSS. Avec un rôle de médiateur dans la guerre civile en cours au Yemen entre toutes les forces (les jihadistes, mis à part), les aspirations à une présence militaire permanente dans le futur semblent évidentes. Et si la présence militaire émiratie dans l'ile de Socotra freine pour le moment son ambition, Moscou trouve dans le Qatar un allié certain pour contrer l'axe émirati-Arabie Saoudite en mer Rouge, dans la Corne de l'Afrique et l'Afrique du Nord. Influence informationnelle Le Covid-19 a certes ralenti le calendrier diplomatique russe mais la fédération peut compter sur les anciens alliés de l'URSS pour maintenir vivace la rivalité Russie-USA et pour influencer, propagande médiatique, programmes éducatifs télévisuels, en faveur de la Russie des régimes jusque-là pro-occidentaux. La Russie déroule aux gouvernements africains un « soutien informationnel » qui leur garantirait la pérennité de leur régime. Il est tout d'abord proposé aux amis de l'ex-URSS. Il s'agit principalement du Soudan, de l'Afrique du Sud, du Zimbabwe, de la République du Congo, République Centrafricaine, de Madagascar, de l'Angola, de l'Algérie, de l'Egypte, et dans une moindre mesure de la Tunisie. L'Algérie, a travers, son président Abdelmadjid Tebboune a fortement étonné la semaine dernière par son annonce sur la chaine de télévision publique algérienne, dans laquelle il soutient que les Etats-Unis sont un pays hostile à l'Algérie. Alors qu'en plus d'être son allié dans la lutte contre le terrorisme et les groupes de l'EI qui la gangrènent, les USA ont offert et inauguré un hôpital de campagne ultramoderne près de Blida le 11 aout dernier. On se souvient que le vrai pouvoir algérien, militaire, en la personne du general Said Chengriha a, lors de sa dernière visite en Russie, fait des déclarations belliqueuses envers quelques pays. Cette rhétorique a dû enhardir Tebboune pour prendre le relais. Le modèle d'influence médiatique russe qui a fait ses preuves dans le pays, est exporté et adapté selon les pays, certains thèmes leur étant chers tels que l'attachement aux valeurs traditionnelles et la représentation de l'Occident comme décadent. Ainsi, au Soudan, la Russie aurait fait circuler des fausses informations accusant Israël d'être à l'origine des manifestations contre le gouvernement, ou montrant des attaques de mosquées ou d'hôpitaux prétendument perpétrés par les manifestants, selon la « Fondation pour la Recherche Stratégie ». Pour diffuser largement ce genre d'informations, la Russie s'appuie d'une part sur des médias et journalistes locaux ; et d'autre part, sur de larges campagnes sur internet et les réseaux sociaux. C'est ce qui ressort des documents obtenus et diffusés par le « Dossier Center » de Mikhaïl Khodorkovski. Ces campagnes, seraient, selon la même source, orchestrées par l'Internet Research Agency liée à l'homme d'affaires russe Evgueni Prigozhin, qui dirigerait une « usine à trolls » à Saint-Pétersbourg à l'origine de campagnes d'e-influence à travers le monde. Et ce, par le biais de faux profils sur les réseaux sociaux et des bots. En conclusion, si les perspectives d'une base militaire russe au bord de la mer Rouge sont incertaines pour l'heure, les ambitions russes en Afrique et au Moyen-Orient que le bassin de la mer Rouge et la Corne de l'Afrique rend interdépendants, elles, ne le sont pas. En conséquence, pour pallier le frein à certaines actions sur place dû à la situation sanitaire et parfois aux efforts de certaines diplomaties, d'autres leviers qui n'exigent qu'une logistique digitale, se mettent en place, quasi-naturellement.