Dans un entretien à l'hebdomadaire «Le Point», le chef du régime algérien estime indispensable de jeter des «passerelles» tant qu'Emmanuel Macron est aux responsabilités à Paris. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a plaidé mercredi 2 juin pour une «mémoire apaisée, reconnue», entre son pays et la France, avec laquelle il estime indispensable de jeter des «passerelles» tant qu'Emmanuel Macron est aux responsabilités à Paris. Dans un entretien à l'hebdomadaire Le Point, le président Tebboune a une nouvelle fois réclamé une reconnaissance des faits survenus pendant la colonisation de l'Algérie par la France (1830-1962). «Ce que nous voulons, c'est une mémoire apaisée, reconnue. Qu'on sorte de cette fable d'Algérie "terra nullius" [territoire sans maître] où la colonisation aurait apporté la civilisation. Cela dit, ce n'est pas la France de Voltaire, la France des Lumières que l'on juge. C'est la France coloniale, explique-t-il. Tout cela ne concerne pas la génération du président Macron, ni celle de certains intellectuels français, qui sont irréprochables, mais reconnaître ces faits est important. Car pourquoi tient-on à la reconnaissance de ce qu'ont subi les Arméniens, les juifs, et ignore-t-on ce qui s'est passé en Algérie ?» Les relations entre les deux pays peinent à se réchauffer durablement. Début avril, une visite du premier ministre français, Jean Castex, a été reportée au dernier moment, officiellement en raison de la crise sanitaire, en réalité parce qu'Alger était mécontent du format de la délégation française. La question des essais nucléaires «Macron a toute mon estime. C'est le plus éclairé d'entre tous. Les autres présidents avaient tous une histoire avec l'Algérie», a toutefois estimé le chef de l'Etat algérien. «Si nous n'arrivons pas à jeter des passerelles solides entre les deux pays sous la présidence Macron, cela ne se fera jamais et nos pays garderont toujours une haine mutuelle», a-t-il averti, relevant que «reconnaître, c'est une forme de repentance». La présidence française a exclu «excuses» et «repentance», mais Emmanuel Macron a engagé ces derniers mois une série d'«actes symboliques» afin de tenter de «réconcilier les mémoires» entre les deux rives de la Méditerranée. Abdelmadjid Tebboune a par ailleurs rappelé qu'il demandait «à ce que la France vienne nettoyer les sites des essais nucléaires, une opération qui est en bonne voie». Mais il a écarté une négociation d'ordre financier. «Nous respectons tellement nos morts que la compensation financière serait un rabaissement. Nous ne sommes pas un peuple mendiant, nous sommes un peuple fier et nous vénérons nos martyrs.» La France a procédé à 17 essais nucléaires au Sahara algérien, entre 1960 et 1966, sur les sites de Reggane puis d'In Ekker. Onze d'entre eux, tous souterrains, sont postérieurs aux accords d'Evian de 1962, qui actaient la fin de la guerre d'indépendance de l'Algérie, mais une clause permettait à la France d'utiliser jusqu'en 1967 les sites du Sahara. Le dossier est l'un des principaux contentieux mémoriels entre Alger et Paris. Délégitimer le Hirak Dans ce long entretien, le président algérien aborde également les élections législatives anticipées, qu'il a convoquées le 12 juin. Malgré une campagne électorale qui ne draine pas les foules, M. Tebboune assure qu'«il y a un engouement, notamment chez les jeunes», pour ce scrutin boycotté par une partie de l'opposition, et avertit qu'«il n'y a pas d'autre issue». En outre, il juge que le mouvement de protestation populaire du Hirak – qui a provoqué la chute de l'ex-président Abdelaziz Bouteflika en 2019 – a perdu sa légitimité. «Aujourd'hui, dans ce qui reste du Hirak, on trouve de tout, il y en a qui crient "Etat islamique !" et d'autres qui scandent "Pas d'islam !". Les manifestants expriment peut-être une colère, mais ce n'est pas le Hirak originel. C'est très hétéroclite», argue-t-il. Interrogé sur la vague de répression qui cible les militants hirakistes, les opposants politiques et les journalistes, M. Tebboune dénonce «une minorité [qui] a refusé l'élection». «Je pense que tout Algérien a le droit de s'exprimer, mais je refuse le diktat d'une minorité», répond le chef de l'Etat, élu en décembre 2019 avec une abstention record (60 %). Plus de 200 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits en lien avec le Hirak et/ou les libertés individuelles, selon les organisations de défense des droits humains.