Un projet de loi prévoyant de déchoir des Algériens de la diaspora de leur nationalité, notamment pour des actes «préjudiciables aux intérêts de l'Etat», vise à «faire taire les voix réfractaires de l'étranger», déplore le politologue Mansour Kedidir. La Nouvelle-Algérie liberticide. Un amendement au Code de la nationalité a été présenté début mars, suscitant un tollé au moment où le mouvement pro-démocratie du Hirak, soutenu par une grande partie de la vaste diaspora algérienne, a repris ses manifestations hebdomadaires. Cela démontre «une certaine précipitation» de la part du gouvernement, poursuit cet ancien magistrat, qui met en garde contre une «bombe à retardement». Q: Comment interpréter cet avant-projet dans le contexte de crise actuel? R: Ce n'est pas la première fois que la déchéance de nationalité est prévue dans la législation algérienne. Toutefois, tel que cet amendement a été rédigé, il semble qu'il déroge aux textes précédents dans la mesure où l'avant-projet prévoit la déchéance de la nationalité d'origine, ce qui revêt un caractère grave sur le plan des droits humains (...). C'est plus une forme d'intimidation à l'endroit des opposants et des youtubeurs vivant à l'extérieur du pays qu'autre chose. Si cette hypothèse est exacte, cela dénote une certaine précipitation et un manque de stratégie dans la politique gouvernementale. A l'évidence, les sites internet (réseaux sociaux, sites d'informations et autres supports numériques d'expression, NDLR) mènent une campagne féroce contre les pouvoirs publics, mais je pense que l'Etat ne devrait pas se laisser entraîner dans des flots de passions déchaînées. Les autorités semblent trouver dans la déchéance une nouvelle arme pour faire taire les voix réfractaires vivant à l'étranger. Il apparaît donc que l'avant-projet s'inscrit dans une logique dissuasive. » Q: Quelles seront les conséquences d'un tel amendement? R: « Il me semble que rien ne justifie cet amendement puisque la déchéance de la nationalité d'origine est une mesure condamnée par les conventions internationales (...) et si les autorités persistent, on aura indubitablement des apatrides, ce qui enfreint le droit international. Dans ce cas de figure, il semble aussi qu'on soit en train de fabriquer des bombes à retardement car celui qui sera déchu deviendra un désespéré que rien n'arrêtera. Imaginez le nombre grandissant des harraga (personnes ayant traversé illégalement la Méditerranée, NDLR) qui vont tomber dans les griffes des extrémistes. Par ailleurs, une précision s'impose: le recours à la déchéance de la nationalité d'origine passe par une procédure fastidieuse (...). Une décision rendue par défaut pour des délits ou par contumace pour des crimes ne permet pas de décider d'un décret de déchéance. Q: Sur la question des djihadistes, l'Algérie rechigne à récupérer ses ressortissants nés et vivant à l'étranger. N'est-ce pas une façon de régler le problème? R: Je ne pense pas. L'Algérie est liée par des accords avec d'autres pays dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et elle gagnerait à recevoir ses jihadistes pour les juger. En matière de stratégie, interroger ses jihadistes et connaître leur mode opératoire renforceraient les capacités des services de sécurité.