Tombé comme un grand couperet, l'étrange avant-projet de loi sur la déchéance de la nationalité de la diaspora algérienne vient rajouter une couche au long cycle de tension entre un peuple en colère et un régime aux abois dans un pays en crise. Habitué à isoler les opposants et à réprimer dans le sang la dissidence, le régime algérien met sur la table une législation inattendue qui s'ajoute à celles adoptées durant l'année 2020 et qualifiées par d'aucuns de "liberticides". Cette loi, qui intervient dans une conjoncture marquée par le retour des manifestations de rue, a été décriée par les Algériens lors des manifestations de vendredi et des marches de mardi au cours desquelles de nouveaux slogans ont été scandés tels que: "Etat terroriste, retirez-nous la nationalité" et "Vous n'allez pas nous intimider avec la déchéance de la nationalité !". La déchéance de la nationalité algérienne, acquise ou d'origine qui, selon cette loi, sera applicable à tout Algérien commettant, en dehors du territoire national, des actes portant volontairement de graves préjudices aux intérêts de l'Etat ou qui portent atteinte à l'unité nationale et à celui qui s'active ou adhère à une organisation terroriste, a suscité l'ire des membres de la diaspora qui se sentent directement visés par une procédure inédite dans les annales juridiques algériennes. Ils considèrent que cette loi, si elle venait à être adoptée, risque d'aggraver le climat de crispation qui domine le pays qui cherche désespérément le chemin de la raison et d'attiser la colère grandissante qui s'exprime depuis deux ans. Ils estiment que naturellement, les accusations d'atteinte à l'unité nationale ou préjudice aux intérêts de l'Etat rappellent, à juste titre, les chefs d'inculpation retenus par la justice algérienne contre de nombreux opposants et militants pacifiques du Hirak, mais cette fois-ci contre les Algériens établis à l'étranger. Beaucoup de détenus d'opinion et de détenus politiques ont été incarcérés depuis juin 2019 jusqu'à aujourd'hui encore au nom de la mythique accusation d'"atteinte à l'unité nationale", un chef d'inculpation totalement politisé par le régime algérien qui a considéré par le passé et continue de considérer aujourd'hui encore qu'une simple publication dénonçant les pratiques liberticides des dirigeants politiques ou civils du régime comme "atteinte à l'unité nationale". Ce projet de loi découle de l'esprit totalitaire du nouveau régime algérien qui a vu le jour depuis la chute de Bouteflika au début du mois d'avril 2019, estiment-ils, relevant que ce régime veut "diaboliser" juridiquement l'opposant qui résiste contre son diktat et veut l'associer à la figure détestable du "terroriste". Dans un post sur twitter, le journaliste et écrivain algérien, Abed Charef, connu pour ses essais et chroniques politiques et sociales, a estimé que "le projet de loi sur la déchéance de la nationalité visant des Algériens installés à l'étranger illustre en vérité la déchéance politique des concepteurs de ce projet". Le journaliste et essayiste, Akram Belkaïd, explique, pour sa part, que ne pouvant plus contrôler la diaspora comme il pouvait le faire dans les années 1970, le pouvoir algérien envisage de déchoir de leur nationalité celles et ceux qu'il qualifie d'"ennemis de la Nation", considérant cette législation comme une "fuite en avant qui continue". De son côté, McNeece Lucy, Professeure américaine retraitée, spécialisée dans les littératures et l'histoire du monde arabo-musulman, a exprimé son étonnement d'un geste malheureux de destituer les Algériens vivant à l'étranger de leur identité profonde, les coupant de leurs attaches, par un régime qui les a souvent poussés à partir. Pour l'avocat et militant des droits de l'Homme, Mokrane Ait Larbi, "quelle que soit la gravité des crimes commis par le titulaire de la nationalité d'origine, celle-ci ne peut lui être retirée, car l'Algérien authentique préférera être exécuté en raison des crimes qu'il a commis, mais il refusera qu'il soit déchu de la nationalité pour laquelle ses pères et grands-pères se sont sacrifiés". "La nationalité algérienne d'origine n'appartient à aucun pouvoir législatif ou exécutif. Elle est innée, naturelle, définitive, irrévocable, intangible, inaliénable et ne peut faire l'objet d'aucune déchéance", explique, de son côté, le Dr Yacine Terkmane, président du Conseil régional de l'ordre des médecins de Blida. Il précise que "l'avant-projet de loi introduit, en outre, une discrimination entre les Algériens". Sur sa page Facebook, l'écrivain algérien Salim Bachi rappelle qu'au cours de l'histoire, des Etats, souvent illégitimes ou violents ou nouvellement créés, ont procédé à cette "fabrication d'apatrides : URSS, Troisième Reich, Vichy...". Le politologue Laddi Lahouari va plus loin en soulignant que dans le passé, quand quelqu'un commet une faute grave, par exemple un meurtre, la tribu l'exile. Il devient "exilé" et la tribu "le renie", explique-t-il, ironisant que le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati croit que "l'Etat algérien est une tribu". En adoptant une stratégie qui jusque-là n'a que des conséquences désastreuses, le régime algérien ouvre une nouvelle boîte de Pandore aux conséquences incalculables, l'exposant à des rappels à l'ordre internationaux comme c'est le cas avec les "mises en garde" de l'ONU qui hausse le ton et s'inquiète de la dégradation de la situation des droits de l'Homme en Algérie.