Des milliers de manifestants sont descendus, lundi 22 février, dans les rues d'Alger et de plusieurs villes du pays pour le deuxième anniversaire du Hirak. Les revendications des militants du mouvement populaire de protestation touché par la Covid-19 et les tentatives du régime de l'enterrer sont les mêmes. Le régime algérien, disent les observateurs, n'est pas viables dans le long terme tant était faible sa légitimité électorale. Ce qui est difficile à prévoir, c'est l'étincelle qui mettra définitivement le feu aux poudres. Les Algériens veulent faire partir le pouvoir et mettre fin à la privatisation de l'État, à la faible participation de la population aux institutions, à la mauvaise gestion des ressources du pays et l'impasse que connaît lu développement économique. La quête de la dignité reprend en Algérie. Les désirs sont immenses : un véritable projet de transition démocratique, des réformes, une alternance électorale. Fi des majorités gouvernementales inféodées au régime et des partis satellites ne pouvant qu'accepter la loi tacite du système politique algérien : l'armée est seule source du pouvoir. Les Algériens sont de plus en plus frustrés par un capitalisme de copinage de plus en plus effronté, le déclin des services publics, un chômage généralisé et une élite politique déconnectée et véreuse. Sous le règne de Bouteflika, l'Algérie avait collecté un billion de dollars sur ses exportations primaires: le pétrole et le gaz. Les caciques du régime avaient utilisé cette richesse pour garnir leurs comptes bancaires suisses tout en négligeant les besoins de base des citoyens et en refusant les appels à diversifier l'économie. Ils ont parié que les Algériens, encore traumatisés par la «décennie noire» de terreur qui avait fait deux cent mille morts dans les années 1990, avaient peu d'appétit pour la révolution. Des jeunes ont pris le relais, et ont réagi avec colère à l'annonce selon laquelle Bouteflika chercherait à être réélu malgré sa santé fragile et la mauvaise gestion croissante du pays. Quelques jours plus tard, le 22 février 2019, les Algériens sont descendus dans la rue pour des manifestations de masse inédites. Bientôt, un rythme hebdomadaire régulier a émergé, les étudiants universitaires manifestant chaque mardi et une population plus large chaque vendredi. Tirant une leçon des révolutions ratées ailleurs, les Algériens se sont strictement assurés que les manifestations resteront pacifiques. Même la démission de Bouteflika, en avril 2019, n'a pas pu calmer la marée puisque les Algériens de tous bords voulaient le départ du système, pas seulement sa figure de proue. Ils se sont unis derrière un seul slogan: «Sortez-les tous.» Mais le terrain d'entente était difficile à saisir. Lessivés après des années les manouvres du régime qui «divise pour conquérir», les partis d'opposition, la société civile et le mouvement du Hirak ont affronté un clan qui s'attache à ses privilèges. «La nouvelle Algérie» Après la démission de Bouteflika, le régime, tout en étant officiellement en charge, s'en est remis à l'armée, qui a tenté d'étouffer le Hirak par un mélange d'apaisement et d'intimidation. Une campagne anti-corruption sans précédent a ciblé des hommes d'affaires et des politiciens largement méprisés, y compris plusieurs anciens ministres. L'armée a également cherché à diviser le Hirak. Par exemple, ils ont incarcéré des manifestants pour «atteinte à l'unité nationale» s'ils étaient repérés portant un drapeau berbère. Mais, pour beaucoup, le règlement de comptes politiques par le biais d'accusations de corruption arbitraires parallèlement à l'emprisonnement de manifestants pacifiques était une invitation à manifester davantage, et non une raison de lâcher prise. Les chefs militaires vieillissants, impatients de rétablir l'ordre qui vrille, ont décidé des élections présidentielles de décembre 2019. De nombreuses personnalités populaires étaient en prison ou jugées inéligibles à se présenter, laissant les Algériens choisir parmi une liste de cinq initiés du régime. Lors d'une élection marquée par une faible participation, l'ancien ministre du logement Abdelmadjid Tebboune a remporté le scrutin et cherché à tourner une page en proclamant l'aube de «la Nouvelle Algérie». Peu convaincus, les Algériens ont continué à protester tandis que le nouveau gouvernement de Tebboune fait face à la liste croissante des crises du pays. Ni le gouvernement ni les manifestants n'auraient pu anticiper l'arrivée de la pandémie de coronavirus au printemps dernier. Dans un premier temps, les manifestations du Hirak se sont poursuivies pendant plusieurs semaines, avant qu'elles soient suspendues fin mars. Le gouvernement a saisi la pandémie comme prétexte pour réimposer sa version de l'ordre, en fermant les frontières du pays, en emprisonnant des journalistes et des militants et en bloquant l'accès aux sites Web des médias indépendants. La tâche de contenir la Covid-19, quant à elle, a été laissée au système de santé sous-financé, sous-équipé et débordé. Un référendum creux Soucieux de consolider sa légitimité et de forger une rupture décisive avec les bouleversements de l'année précédente, Tebboune a annoncé une nouvelle constitution. Le texte publié quelques jours à peine avant le référendum prévu le 1er novembre, n'a pas répondu aux demandes des manifestants d'assainir le pouvoir présidentiel, d'assurer l'indépendance de la justice, de renforcer les protections sur la liberté d'expression et la liberté de la presse, etc. Au lieu de cela, les autorités ont tenté de coopter le mouvement en le louant dans le préambule révisé. Dans l'espoir de refuser à Tebboune le mandat populaire qu'il recherchait, de nombreux membres du Hirak ont appelé les Algériens à boycotter le référendum. Beaucoup ont écouté leur appel; les chiffres officiels ne montraient que 23% de participation. Bien que la constitution ait été adoptée avec les deux tiers des voix, le taux de participation était une gifle puissante adressée au régime. Une crise familière Tebboune n'était pas en Algérie pour assister à sa courte victoire ou signer la constitution. Le 28 octobre, il s'était envolé pour l'Allemagne pour des raisons de santé non précisées, suscitant des spéculations rampantes. Lorsque la télévision d'État a diffusé un discours préenregistré de lui, les Algériens ont vu le passé ressurgir : une fois de plus, leur président prend ses quartiers dans un hôpital européen, incapable de diriger le pays alors que les défis deviennent de plus en plus dangereux. Deux jours plus tard, la présidence a finalement confirmé que Tebboune, un fumeur à la chaîne de 74 ans, avait attrapé le coronavirus, aggravant les craintes d'une nouvelle crise de leadership. Pendant deux mois, les Algériens ont entendu peu de nouvelles sur le pronostic du président alors même que son absence créait des problèmes croissants chez eux. L'Algérie est plongée dans une double crise économique et de santé publique qui exigeait des décisions majeures. Pourtant, sous son système hautement centralisé – une caractéristique à la fois de la constitution précédente et de la nouvelle constitution – l'absence du président a effectivement brouillé le fonctionnement de l'État. Tout comme le système honni de l'Algérie était légèrement fardé par un référendum d'une légitimité douteuse, l'absence de Tebboune a mis en évidence la profonde fragilité du régime. Le vide de leadership a été fortement ressenti en décembre 2020, lorsque la reconnaissance américaine de l'autorité marocaine sur le Sahara a été perçue comme une nouvelle humiliation par le régime. Absents de la scène internationale et sans président pour parler en leur nom, les Algériens étaient incapables de suivre le cours des événements. Pour de nombreux Algériens, la fronde semblent à nouveau s'accroître. Au milieu de la propagation effrénée de la Covid-19, l'Algérie a eu du mal à organiser des contre-mesures efficaces, y compris la vaccination. L'économie est dangereusement trop dépendante des hydrocarbures et la diversification est à peine imaginable dans les conditions actuelles. En même temps, les Algériens craignent que les difficultés économiques n'obligent le pays à chercher des renflouements auprès des institutions financières internationales – un pas que l'Algérie a pris dans les années 1990 avec des conséquences désastreuses, ce qui en fait une ligne rouge politique aujourd'hui. Les partisans du Hirak ne tardent pas à souligner qu'ils ont volontairement interrompu leur mouvement et qu'il peuvent le relancer à tout moment. Deux ans après l'éruption du Hirak, cette possibilité prend corps. Les appels se multiplient de jour en jour pour un retour à la protestation publique et une nouvelle vague pour un changement fondamental, et nécessaire.