Pourquoi l'amendement constitutionnel de 2020 en Algérie n'a-t-il pas donné au régime de Tebboune la légitimité dont il avait désespérément besoin? Explications. Marquant un taux de participation historiquement faible, battant même le record établi par les élections présidentielles controversées de décembre 2019, le référendum de 2020 sur l'amendement constitutionnel en Algérie a attiré moins de 24% de l'électorat. L'amendement a été adopté avec 66,8% des électeurs ayant voté «oui», mais les chiffres sont loin de ce que le régime souhaite et certainement loin de ce dont il a besoin pour revendiquer une certaine forme de légitimité. La constitution a longtemps été un outil pour résoudre les problèmes auxquels les présidents en exercice et leurs régimes sont confrontés en Algérie. Qu'il s'agisse d'une crise de légitimité, d'un mouvement populaire contestataire ou que le président souhaite simplement exercer plus de pouvoirs, il n'y a rien qu'un amendement constitutionnel ne puisse résoudre. Ou du moins ce qu'il semblait. «L'amendement constitutionnel voulu par Abdelmadjid Tebboune n'est pas différent de ses prédécesseurs». Les discussions sur un tel amendement sont intervenues assez tôt et ont constitué une grande partie de la campagne présidentielle du président mal élu, actuellement hospitalisé en Allemagne. Cela montre à quel point il est facile d'adopter un amendement par un président en Algérie. La même rhétorique a été utilisée sous le règne de Bouteflika qui n'était pas avare de réformes législatives de façade. Abdelaziz Bouteflika a amendé la constitution en 2002 face aux troubles populaires – le printemps kabyle en 2001 – puis il l'a amendée en 2008 pour lever les limites des mandats présidentiels et s'autoriser un troisième et un quatrième mandat, et enfin en 2016. L'amendement de 2016 était une promesse que Bouteflika avait faite en 2011 pour contenir le mécontentement populaire et empêcher l'Algérie de rejoindre le «printemps arabe». Certes, la modification de la constitution n'est pas le dernier recours ou le choix difficile. En Algérie, c'est la première chose vers laquelle se tourner pour tenter de résoudre les dilemmes auxquels le régime est confronté. Le discours de Tebboune sur un amendement constitutionnel n'était donc pas une surprise compte tenu de l'environnement sensible dans lequel se déroulaient les élections présidentielles de décembre 2019. Le mouvement populaire algérien, mieux connu sous le nom de «Hirak», ne montrait aucun signe d'arrêt. Les cinq candidats à la présidentielle ont juré qu'ils étaient là pour offrir un changement par rapport à la corruption et la mainmise de l'armée sur la vie politique, et que leur premier ordre du jour serait de changer la constitution pour permettre à une «nouvelle république» d'émerger. C'est une rhétorique déprimante qu'une promesse de changement et de progrès en Algérie soit automatiquement qualifiée de «nouvelle république», ou pire encore, de «deuxième république», dans un mimétisme extrêmement embarrassant des Français. Cette fois, cependant, la modification de la constitution n'a pas donné le résultat souhaitable pour le régime. Pendant des semaines, le régime algérien a cherché à mobiliser les électeurs pour participer au référendum sur le nouvel amendement constitutionnel de 2020 qui était prévu le 1er novembre. La date du vote a été choisie pour son flair symbolique car c'est le jour où la guerre d'indépendance algérienne contre la France a éclaté en 1954. Des bannières appelant les gens à voter lors du référendum placent les deux dates côte à côte avec une légende qui se lit comme suit: : «Novembre 1954, novembre de la libération, novembre 2020, novembre du changement.» Bien que l'amendement offre un changement, la vraie question est de savoir s'il s'agit ou non d'un changement important et souhaitable. Un rapide coup d'œil à certaines des réformes proposées aide à comprendre pourquoi le référendum a été si contreproductif pour le régime. Élaboration d'une constitution inclusive? Avant de se plonger dans les détails de l'amendement proposé, il pourrait être judicieux de se pencher sur le processus de son élaboration. Pour commencer, l'amendement constitutionnel n'a pas seulement été initié par le nouveau président lui-même, mais il a également nommé tous les membres du comité constitutionnel chargé de le rédiger. Abdelmadjid Tebboune avait promis un changement constitutionnel dans le cadre de sa campagne présidentielle et peu de temps après avoir été élu président, il a mis sur pied un comité d'experts en droit constitutionnel et lui a confié l'élaboration d'un projet selon sept grandes lignes. Cette étape a été relativement controversée car non seulement elle rompt avec la manière dont les amendements constitutionnels ont été conçus auparavant sous le règne de Bouteflika, mais le président nommé du comité, un professeur de l'Université d'Alger du nom d'Ahmed Laraba, était lui-même derrière l'amendement constitutionnel de Bouteflika de 2016. Le premier projet produit par le comité a été publié en mai, cinq mois après la création du comité. La porte était alors ouverte à différents organes politiques et individus pour envoyer des propositions et des contributions. En effet, la page Web dédiée sur le site de la présidence affirme que la commission a reçu un total de 610 dossiers contenant plus de 5 000 changements proposés par diverses composantes de la société civile, partis politiques, personnalités nationales, universitaires et même citoyens ordinaires. Cependant, il était tout à fait évident que les changements proposés étaient superficiels et principalement façonnés par le langage et la formulation au détriment du contenu et de l'efficacité. Les propositions qui abordaient des questions urgentes et suggéraient des modifications substantielles n'ont pas abouti au texte final. Cela montre que l'essentiel du projet, comme prévu, est resté celui présenté par le comité sous les instructions claires et directes du président. Réalités du changement Le texte constitutionnel a connu une expansion significative en volume avec la proposition d'une Loi fondamentale contenant 240 articles contre 218 dans la constitution de 2016. Cela peut être considéré comme un inconvénient, car les constitutions à rallonge ont tendance à être plus vulnérables aux modifications et aux manipulations futures. De plus, l'ampleur du changement peut être trompeuse. De nombreuses nouveautés sont purement cosmétiques et ne répondent guère ou pas du tout aux aspirations du peuple algérien. En effet, malgré la promesse initiale de préserver le principe de limitation et de séparation des pouvoirs, l'amendement constitutionnel a maintenu le favoritisme écrasant du pouvoir exécutif. Les Algériens avaient protesté contre l'omnipotence d'un président qui est resté au pouvoir pendant quatre mandats consécutifs parce qu'il avait pu manipuler la constitution pour se permettre cette longévité. La réforme de 2020 a préservé ce genre de pouvoir de domination au président avec l'article 219 énonçant que le président conserve le droit d'initier un changement constitutionnel. Dans l'ensemble, la présidence a maintenu tous les grands pouvoirs dont elle jouissait dans l'ancienne constitution et s'est même vue attribuer de nouvelles. De même, l'amendement a créé une cour constitutionnelle succédant au conseil constitutionnel. Le conseil avait perdu sa crédibilité d'une part lorsqu'il n'a pas exercé l'autorité qu'il avait pour déclarer Bouteflika inapte à gouverner à la suite de son accident vasculaire cérébral en 2013, et plus outrageusement, pour avoir accepté un cinquième mandat inconstitutionnel jusqu'à ce qu'il soit annulé par des contestations populaires. Alors que le conseil a clairement fonctionné sous la forte influence de la présidence, la Cour constitutionnelle démontre un recul plutôt qu'une amélioration. Si le président de la république nomme un tiers des membres de l'ancienne institution, il en nomme un tiers (4 membres) dans la nouvelle entité instaurée et supervise le processus de nomination de la moitié de sa composition (6 membres). Sur le front des droits et libertés, les changements avancés étaient artificiels et la réalité dresse un tableau encore plus sombre. Des journalistes et militants algériens ont défilé pour une presse libre et réclamer la liberté d'expression, et tandis que les articles 51, 52 et 54 consacrent ces droits, des journalistes et les militants du Hirak ont été condamnés à des peines scandaleuses pour leur implication dans le mouvement ainsi que dans les manifestations populaires, pour avoir critiqué le gouvernement ou pour avoir exprimé leur opposition au régime. Ainsi, même avec les changements qui semblent prometteurs sur le papier, la rue algérienne n'a aucune espoir que le régime entende les mettre en œuvre et les faire respecter. Peut-être le changement le plus problématique et le plus controversé proposé par l'amendement constitutionnel, un changement impopulaire, était celui de confier au président la prérogative de déployer l'armée algérienne à l'étranger. Cette décision jugée mauvaise a probablement coûté le plus de voix au régime car beaucoup s'opposent au fait d'envoyer des soldats algériens (constitués de manière significative de conscrits) dans des pays étrangèrs. L'amendement constitutionnel était incroyablement en deçà des aspirations des Algériens qui ont défilé dans un Hirak hebdomadaire pendant plus d'un an. Il n'est donc pas surprenant que la nouvelle constitution ait été publiquement dénoncé. Ce qui est à noter, c'est que le régime était prêt à annoncer ce qui semble être les vrais chiffres, ce à quoi les Algériens n'étaient pas habitués pendant les deux décennies de règne de Bouteflika ou même avant. Les élections algériennes, présidentielles et référendums, sont réputées pour avoir présenté des chiffres de victoire absurdes qui sont sans aucun doute frauduleux. Abdelaziz Bouteflika a été réélu les trois autres fois avec une victoire de plus de 80% aux élections présidentielles. Les experts soutiennent depuis longtemps qu'en règle générale, de tels chiffres indiquent une absence d'élections libres et équitables et que le régimes est tout simplement non compétitif. Sans réel changement, Abdelmadjid Tebboune a poursuivi la tradition qui a accompagné l'histoire moderne de l'Algérie selon laquelle chaque président est tenu de modifier le texte constitutionnel pendant son mandat. Malgré l'adoption de l'amendement constitutionnel, il est certain qu'il n'a pas résolu mais compliqué davantage les choses pour le régime de Tebboune.