Considéré comme le porte-drapeau de la lutte anticorruption, Martin Vizcarra a contesté «avec véhémence et catégoriquement» avoir reçu le moindre pot-de-vin. Moins de deux mois après une première tentative, le Parlement péruvien a voté, lundi 9 novembre, la destitution du président de la République, Martin Vizcarra, pour «incapacité morale», sur fond d'accusation de pots-de-vin présumés qu'il aurait reçus en tant que gouverneur en 2014. La motion pour déposer le chef de l'Etat, populaire en raison de son intransigeance contre la corruption, a recueilli davantage de votes que les 87 nécessaires, avec 105 voix pour, 19 contre et 4 abstentions. «La résolution déclarant la vacance de la présidence de la République a été approuvé », a déclaré à l'issue du vote le président du Parlement, Manuel Merino, qui va désormais prendre les rênes du gouvernement jusqu'à la fin du mandat de M. Vizcarra, le 28 juillet 2021. Son prédécesseur déjà au cœur d'un scandale Vu par la population comme le héraut de la lutte contre la corruption, M. Vizcarra, qui s'est retrouvé à la tête du pays après la démission, en 2018, de son prédécesseur, Pedro Pablo Kuczynski dont il était le vice-président, n'était en revanche membre d'aucun parti politique et ne disposait d'aucun soutien du côté des législateurs. Le président du Parlement prendra la direction du Pérou à l'issue de la prochaine session du Parlement, prévue mardi. M. Merino deviendra ainsi le troisième président du Pérou depuis 2016, signe de fragilité institutionnelle qui caractérise l'ancienne colonie espagnole, indépendante depuis 1821. «Je quitte le palais du gouvernement comme j'y suis entré il y a deux ans et huit mois : la tête haute. Je ne lancerai aucune action légale» pour lutter contre la destitution, a déclaré M. Vizcarra, entouré de ses ministres dans le jardin de palais, ajoutant qu'il allait rejoindre sa résidence particulière. M. Vizcarra avait échappé le 18 septembre à une première motion de destitution au Parlement. Il était alors accusé d'avoir incité des témoins à mentir dans le cadre d'une enquête sur des soupçons de corruption. Son prédécesseur, Pedro Pablo Kuczynski, n'avait pas pu, lui non plus, aller au bout de son mandat, obligé de démissionner sous la pression du Parlement après avoir été mis en cause dans le scandale Odebrecht, du nom de cette compagnie brésilienne de construction accusée d'avoir versé des pots-de-vin dans différents pays d'Amérique du Sud. Pas moins de quatre ex-présidents péruviens sont d'ailleurs impliqués dans le scandale. Une décision impopulaire Le président Vizcarra s'était présenté dans la matinée devant le Congrès, réuni en séance plénière, afin d'assurer lui-même sa défense, niant de nouveau avoir reçu le moindre pot-de-vin lorsqu'il était gouverneur de la région de Moquegua (Sud). «Je rejette avec véhémence et catégoriquement ces accusations, je n'ai pas reçu le moindre pot-de-vin de quiconque», a-t-il assuré avant de souligner que le choix de déclarer une vacance du pouvoir «est une mesure extrême» qui ne devrait pas être tentée par le Congrès «tous les mois et demi». Le président de la République, qui est devenu le porte-drapeau de la lutte anticorruption, a en revanche souligné que 69 parlementaires faisaient l'objet d'une enquête judiciaire, sans pour autant avoir été destitués. Plusieurs appels à manifester ont fleuri sur les réseaux sociaux, dans la foulée de la destitution, et plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées dans la soirée à Lima, frappant sur des casseroles pour dénoncer le vote du Parlement. Sur des pancartes, les manifestants s'en sont pris au «congrès putschiste», d'autres affirmant : «Merino, tu ne seras jamais président». La destitution a également été mal accueillie par les organisations patronales, qui souhaitaient voir le gouvernement se concentrer sur le redémarrage de l'économie et la réponse à la pandémie de Covid-19, alors que le pays déplore près de 35 000 morts depuis mars.