La somme de réactions rassemblées sous ce label a engendré en peu de temps une prise de conscience sur les abus sexuels, surtout dans les milieux militants. Le hashtag est apparu début août sur Twitter, #WeBelieveHafsa, en référence à Hafsa Boutahar «une jeune femme, employée en freelance, pour des missions commerciales et administratives au Desk, un site d'information marocain» comme l'ont présenté, dans leur enquête polémique, les portails français Médiapart et l'Humanité. Hafsa Boutahar, qui affirme avoir été violée dans la nuit du 12 au 13 juillet 2020 par Omar Radi, reste peu entendue. Son présumé agresseur lui, ardemment défendu. Cette différence de traitement est de nature à étonner. La procédure judiciaire contre le journaliste Omar Radi, 34 ans, a formellement commencé mardi 22 septembre avec sa comparution devant un juge d'instruction à Casablanca. Le journaliste controversé avait été placé en détention provisoire le 29 juillet à la prison d'Oukacha. Il affronte trois catégories de chefs d'inculpation : «atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat», «atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat» ainsi que viol, attentat à la pudeur et évasion fiscale. La réponse a été massive. Le hashtag #WeBelieveHafsa («nous croyons Hafsa»), réminiscence du #MeToo, occupe une bonne position dans les tendances marocaines sur le réseau social de microblogage Twitter, correspondant à un afflux de tweets utilisant ce mot-clé. Des milliers de tweets s'accumulaient, alimentés par des rafales messages félicitant la jeune femme d'avoir brisé le silence sur les abus sexuels qu'elles dit avoir subis. Après la diffusion de son témoignage, les réseaux sociaux s'étaient enflammés, l'affaire provoquant des réactions d'effroi et des appels à la justice, mais aussi de nombreux commentaires des entours de Omar Radi mettant en cause sa sincérité. Hafsa Boutahar a déclaré «décider de ne parler qu'une seule fois pour que les gens sachent la vérité». Elle critique Omar Radi qui s'est livré, selon elle, à «des mensonges dégoûtants» après un post sur Facebook où il a évoqué un «piège» et une «machination». «Je ne peux pas rester les bras croisés et le laisser dire ce qu'il veut pour me salir. Mon avocat considère que c'est une violation grave du secret de l'instruction», a protesté la plaignante, qui a accordé sa version des faits à un site électronique, publiée en deux volets. Son récit est glaçant. «S'il n'était pas allé parler de moi dans les bars en riant de ce qu'il m'avait fait subir, peut-être que je me serais tue comme la plupart des personnes qui se font violer, a-t-elle expliqué. Vous croyez vraiment que c'est facile de s'adresser à la justice pour ce genre de chose dans une société comme la nôtre ? Que c'est facile de prendre le risque qu'on vous réponde que vous l'avez peut-être bien cherché ? Qu'on se demande ce que vous faisiez là ? Je me suis posé mille fois la question : allait-on m'aider ? Omar Radi est très connu et a de nombreux soutiens et moi, je n'ai rien.» Amnesty International a refusé de répondre aux correspondances de Hafsa Boutahar, tandis que l'ONGI Human Rights Watch (HRW) a publié le 21 septembre un communiqué qui s'est contenté de mentionner de manière lapidaire que «l'accusatrice du journaliste [dans le dossier du viol], qui s'est exprimée publiquement, a le droit d'être entendue et respectée, au même titre qu'Omar Radi, qui a droit à une procédure judiciaire équitable». Les journaux qui ont pris parti pour Omar Radi, sans qu'ils aient d'ailleurs autre chose que des impressions confuses pour se décider, ont été dénoncés par Hafsa Boutahar. Médiapart a tenté de faire accroire à l'accusatrice de Omar Radi qu'il comptait défendre sa cause. «Médiapart a essayé de me tromper et a mené des pratiques non-éthiques et non-professionnelles, essayant de me faire croire qu'ils me soutiendraient dans mon cas et qu'ils soutiendraient les victimes de viol, juste pour que je réponde à leurs questions. Dans leur article, cependant, ils ont montré l'étendue de leur exploitation des victimes de viol, dans des affaires politiques cachées. Imaginez si mon prénom était Jacqueline. Les institutions françaises me traiteront-elles de la même manière ?» s'est insurgé Hafsa Boutahar. Une enquête sans base solide où le champ des certitudes reste très limité ; celui des soupçons va toujours en s'élargissant. Devant le juge d'instruction de Casablanca, Omar Radi s'est expliqué sur l'accusation de viol dont il fait l'objet durant plusieurs heures. Hafsa Boutahar conteste vigoureusement les allégations d'Omar Radi qui indique que leur relation sexuelle avait été «consensuelle». Elle sera entendue le 5 octobre, d'après plusieurs médias. La justice marocaine s'attèle sur un autre dossier, celui de l'ancien rédacteur en chef du quotidien proche du PJD Akhbar al-Yaoum, Soulaiman Raissouni. Ce journaliste de 48 ans a été interpellé fin mai à la suite d'accusations publiées sur Facebook par un militant pour les droits des personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans), connu sous le nom de Mohamad Adam. Le jeune homme, qui a ensuite été entendu par la police, a subi une atroce campagne de diffamation sur les réseaux sociaux. Abdelmoula El Marouri, avocat Toufik Bouachrine, le patron de presse déchu condamné en octobre 2019 pour «traite d'êtres humains», «abus de pouvoir à des fins sexuelles», «viol et tentative de viol» a été vivement critiqué après un message de haine adressé contre l'accusateur de Soulaiman Raissouni. Le fait vaut la peine d'être signalé : peu d'ONG internationales ont pris la peine d'écouter la version de Mohamad Adam. Alors que Soulaimane Raissouni reste en détention préventive «pour les besoins d'une enquête sur des faits présumés d'attentat à la pudeur avec violence et séquestration», ses soutiens recourent à la facilité de la diffamation et de la calomnie afin de propager des divulgations hasardeuses sur le jeune activiste, qui a quitté l'hôpital en début de semaine après des soucis de santé. «La culture du viol a de beaux jours devant elle», a commenté Ibtissam Lachguar, l'infatigable militante du collectif de défense des libertés individuelles MALI. Le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) a, pour sa part, dénoncé «la diffamation dont sont victimes les protagonistes de cette affaire». Plusieurs voix appellent à replacer le dossier de Omar Radi sur le terrain judiciaire d'où il n'aurait jamais dû sortir ; de le dégager de toutes les interventions accessoires qui étaient venues s'y ajouter comme une excroissance malsaine. C'est la justice, seule, qui se prononcera une fois pour toutes sur l'innocence ou sur la culpabilité du journaliste.