Que l'on soit en accord ou pas avec cette « fatwa » professionnelle unilatérale, si Abdallah Ben Ali considère que la mention de sa nationalité mauritanienne est de nature à lui porter un préjudice moral quelconque, nous lui présentons d'emblée, et sincèrement, nos excuses les plus profondes. Un de nos confrères, qui a toujours joui, notamment, de notre estime nous fait, aujourd'hui, une mauvaise querelle. Il vient de saisir le Syndicat national de la presse marocaine, et, directement, d'autres confrères, par une lettre, inutilement véhémente à notre égard dans laquelle il appelle au «rétablissement de la vérité et au respect de la déontologie.» De quoi sommes-nous, donc, coupables ? On aurait commis un délit «à la gravité multiple, professionnelle, personnelle, et intellectuelle» en usant dans une dérive «regrettable et condamnable» de méthodes «inquisitoriales et xénophobes», quand on a écrit que Abdallah Ben Ali, journaliste à Maroc Hebdo, signataire d'une interview avec Ali Salem Tamek, un séparatiste activiste du polisario à la solde d'Alger, est de nationalité mauritanienne dans un des articles faisant partie du dossier intitulé «Ce Maroc que l'on trahit», ALM N° 570 du mercredi 4 février 2004. Selon notre éminent confrère, passablement en colère, qui souhaite probablement créer une affaire dans l'affaire, comme c'est à la mode actuellement, cette «mention de la nationalité ne répond à aucune justification professionnelle.» Que l'on soit en accord ou pas avec cette «fatwa» professionnelle unilatérale, si Abdallah Ben Ali considère que la mention de sa nationalité mauritanienne est de nature à lui porter un préjudice moral quelconque, nous lui présentons d'emblée, et sincèrement, nos excuses les plus profondes. Abdallah Ben Ali connaît, lui, personnellement l'intérêt professionnel que nous lui portons depuis longtemps et il sait, comme il en a formulé récemment le désir, que les portes de la rédaction de ALM lui sont grandes ouvertes s'il souhaitait nous rejoindre et retrouver par là-même son confrère et coreligionnaire mauritanien Adama Wade, dont nous saluons, au passage, les qualités. Ce dernier ne souffrant apparemment pas , dans l'exercice quotidien de son métier, d'aucune méthode xénophobe ou inquisitoriale. Quant au fond du faux-problème il n'est pas réglé. Pour plusieurs raisons. 1 - S'il y a un journal, pour des raisons que personne n'ignore, avec lequel nous ne souhaitons entretenir aucune polémique, c'est bien Maroc Hebdo. Nous nous connaissons, mutuellement, suffisamment bien pour éviter l'impudeur d'infliger à nos lecteurs respectifs une guerre des mots à l'aspect notoirement «fratricide» qui ne représenterait aucun intérêt ni pour eux ni pour la profession. 2 - Nous avons le droit de considérer- car cela relève de notre liberté de pensée et de l'exercice de nos responsabilités professionnelles- que quand on souhaite faire une interview de «ruputure» avec quelqu'un qui est considéré comme un traître à la nation et un adversaire résolu de notre intégrité territoriale, le moins que puisse faire une rédaction c'est de traiter ce sujet au plus haut de son organisation. Et surtout ne pas sous-traiter un sujet national, vital et sacré, de cette gravité et de cette importance à un journaliste étranger quelles que soient par ailleurs ses compétences et même exerçant régulièrement au Maroc. 3 - Cette surexposition d'un journaliste étranger, au statut par nature précaire, et astreint naturellement sur certains sujets à un devoir de réserve, est dangereuse. Le fait qu'il soit Mauritanien n'ajoute rien au problème, il le complique, c'est tout. Cependant, compte tenu de la tension extrême qui prévaut dans la région, des menaces contre le Sahara marocain et des «affinités» dont le séparatiste affirme l'existence, dans l'entretien lui-même, entre le peuple mauritanien et le «peuple sahraoui», la nationalité de l'intervieweur commence à poser à l'évidence un problème éthique, professionnel et déontologique. Par ailleurs, sur d'autres registres, et pour élargir le débat, on voit mal Abdallah Ben Ali lui-même, ou un autre journaliste étranger de qualité, du fait qu'il soit uniquement un professionnel, se lancer dans des développements concernant la nécessité d'un changement de Premier ministre, la dissolution de la deuxième Chambre, la réforme de la Constitution ou la réécriture de l'article 19 de celle-ci. Cela semble en effet problématique à moins, toutes choses étant égales par ailleurs, que la jeune démocratie marocaine par une opération du Saint Esprit n'ait déjà accouché, à notre insu, de la Cité idéale. 4 - Dernier point et non des moindres, des précédents de cette nature existent dans l'histoire récente de la presse marocaine. Deux exemples pris au hasard. Quand Aboubakr Jamaï, directeur du Journal hebdomadaire, a voulu publier un entretien avec Abdelaziz El Marrakchi, il a engagé personnellement sa responsabilité en faisant l'entretien lui-même et a assumé en un geste fort et en tout cas courageux sa responsabilité individuelle au risque d'obérer la bonne marche de son titre. Et quand Ali Lmrabet a voulu manifester une position éditoriale forte, quand il était rédacteur en chef de ce même hebdomadaire, il a effectué lui-même un entretien avec Benyamin Netanyahou en prenant, par ailleurs tous les risques. Ceci nous apprend que, dans la vie d'un journal, il y a, parfois, des choses que l'on ne sous-traite pas. Et les Mauritaniens n'ont rien à voir là-dedans.