Selon M. El Maslouhi, la reconnaissance par le CNT de la marocanité du Sahara met sur la défensive les thèses de l'Algérie sur ce dossier. ALM : L'Algérie a été critiquée en raison de ses liens avec Kadhafi. Qu'en pensez-vous ? Abderrahim El Maslouhi : L'affaire libyenne nous a mis en présence de deux Algérie : d'un côté, une Algérie officielle qui s'est manifestement exprimée à contre-courant du choix démocratique du peuple libyen, de l'autre, une Algérie populaire qui, comme tous les peuples du Maghreb, aspire à la démocratie, au pluralisme et à l'unité du Grand Maghreb. Les positions prises par l'Algérie officielle sont évidemment critiquables à plus d'un titre. Ces positions ont beaucoup coûté à l'image de l'Algérie qui se présentait depuis l'indépendance en tant que défenseur convaincu du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le cas de la Libye post-Kadhafi indique que c'est bien le contraire qui prévaut lorsque les intérêts de la junte militaire risquent d'être ébranlés. En d'autres termes, l'Algérie officielle s'est rangée du côté de Kadhafi pour au moins trois raisons faciles à deviner : d'abord, parce que le départ de Kadhafi annonce la fin de l'hégémonie militaire sur les peuples de la région, l'Algérie étant désormais le seul pays maghrébin encore sous domination militaire. Ensuite, parce que ce départ est lourd de conséquences pour la politique algérienne vis-à-vis du Sahara, la Libye ayant toujours été un allié inconditionnel en ce qui concerne le soutien militaire, diplomatique et financier du front Polisario. Enfin, parce que la démocratisation de la Libye ne manquera pas de rebondir négativement sur l'hégémonie politique de l'armée en Algérie. Qu'en est-il du front Polisario ? À dresser un bilan des grands perdants de la chute de Kadhafi, on va se rendre compte que le Polisario figure en deuxième position après l'armée algérienne. Et pour cause : après l'Algérie – officielle, il faut le rappeler –, le régime de Kadhafi passe pour être le deuxième parrain du front séparatiste. On sait que le gouvernement algérien, pour éviter d'être en porte-à-faux devant l'ONU et l'opinion publique internationale, tenait souvent à déléguer au régime libyen certaines tâches délicates : pourvoir aux besoins du Polisario en formation militaire en engageant des centaines de jeunes Sahraouis comme élèves dans les différents camps et écoles militaires de la Libye, user des bonnes relations qu'entretenait le colonel Kadhafi avec certains régimes du Tiers-monde, en Afrique et Amérique latine notamment, pour extorquer des reconnaissances en faveur du Polisario, etc. En plus de cette politique de sous-traitance, l'Algérie se servait du régime libyen comme appoint important pour contrer le Maroc au sein des instances internationales. Comment voyez-vous l'avenir du conflit au Sahara ? Le CNT, qui a eu la lucidité et la bonne volonté de dire un mot de vérité sur un problème qui empoisonnait depuis longtemps les relations entre pays maghrébins, n'aurait pas tenu une telle attitude s'il n'avait pas été convaincu du bien-fondé des revendications marocaines. Personnellement, je reste optimiste quant à l'avenir de la construction maghrébine grâce, justement, à cette position sereine et courageuse du CNT qui ne fait, d'ailleurs, que traduire les convictions authentiques des citoyens libyens. La reconnaissance par le CNT de la marocanité du Sahara met sur la défensive les thèses de l'Algérie sur ce dossier, prive le Polisario d'un soutien financier et logistique des plus déterminants et ouvre un nouveau chapitre dans le processus négociatoire sur l'avenir du Sahara, sachant bien que l'offre d'autonomie régionale faite par le Maroc semble, chaque jour, gagner en audience et en réalisme.