Comme cela était annoncé, l'AKP, Parti de la justice et du développement, a remporté, pour la troisième fois consécutive, les élections législatives qui ont eu lieu en Turquie les 11 et 12 juin derniers. Née en 2001 d'une scission du Parti islamique de la prospérité (Refah) du vieux chef islamiste Necmettin Erbakan, la formation fondée et dirigée par Recept Tayyip Erdogan a rassemblé plus de 50% des suffrages. Un résultat qui permet à celui qui est Premier ministre depuis neuf ans de continuer à diriger le pays. Mais un score néanmoins insuffisant pour lui donner l'entière liberté de transformer à sa guise la nouvelle Constitution comme il le voudrait. Erdogan, en effet, souhaite instaurer une République présidentielle dont il se voit bien, dans cinq ans, le premier président élu au suffrage universel. Depuis Mustafa Kemal Atatürk, qui fonda en 1919 la République laïque de Turquie après l'effondrement de l'Empire Ottoman, et qui sauva ainsi son pays du dépeçage qui l'attendait, aucun homme politique turc n'avait atteint le degré de pouvoir qui est aujourd'hui celui d'Erdogan. A tel point que certains n'hésitent pas à qualifier de «nouveau sultan» l'homme charismatique qui est à la tête de leur pays. Issu des milieux populaires, alliant une formation en commerce et en sciences islamiques, formé politiquement au sein du mouvement islamiste Milli Görus («La Voie Nationale»), ayant fait ses preuves comme maire d'Istanbul avant de devenir Premier ministre, Erdogan a su devenir maître de tous les rouages de l'Etat. Il est parvenu, en particulier, à neutraliser l'armée et la magistrature qui se voulaient les institutions gardiennes de l'idéologie laïque d'Atatürk. Celui qui se définit comme «démocrate conservateur» a su, en effet, inventer quelque chose de neuf qui mêle valeurs traditionnelles – d'abord l'attachement de la majorité des Turcs à l'Islam – et ouverture au monde, nationalisme en dialogue avec les autres nations et Islam capable de s'adapter aux évolutions. Sa force aura été – et demeure – de se sentir investi d'une mission: redonner toute sa place à l'Islam en Turquie, et redonner à la Turquie son rang dans le monde. Et d'y parvenir. Avec une économie en pleine santé, la Turquie, membre du G20, est aujourd'hui la dix-septième puissance mondiale. Pilier du flanc sud-est de l'Otan, cette nouvelle puissance globale s'affirme de plus en plus comme un acteur régional majeur. N'ayant pas remis en cause l'alliance avec les Etats-Unis, le gouvernement islamiste ne craint pas, pour autant, de faire entendre ses désaccords en matière de politique internationale, notamment par rapport à Israël. A l'heure des révolutions arabes, le pays devient une référence pour beaucoup dans la partie musulmane de la Méditerranée. Cependant, la nouvelle Turquie n'est pas encore arrivée à la maturité démocratique. Erdogan, fort de ses succès, tend souvent à se comporter en autocrate. La liberté de la presse est loin d'être respectée, avec plusieurs journalistes en prison. Même s'il est aujourd'hui possible de parler de la minorité kurde, celle-ci reste sous haute surveillance. Et Ankara ne fait guère preuve de bonne volonté dans le règlement de la question chypriote.