Presque cinq mois ont passé depuis que Zine El-Abidine Ben Ali ( le 14 janvier ) et Hosni Moubarak (le 11 février) ont été contraints d'abandonner le pouvoir. Aux explosions de joie des populations tunisienne et égyptienne ont succédé l'amertume et l'angoisse. Dans les deux pays, la situation économique s'avère désastreuse. Du fait de la révolution, selon les estimations de l'économiste franco-tunisien Elyès Jouini, la Tunisie a perdu cinq milliards de dollars de son P.I.B. (Produit intérieur brut) : un milliard en raison du blocage de l'activité économique, deux à cause de la baisse du tourisme, et deux autres à cause de la guerre en Libye, son premier partenaire commercial. En Egypte, le taux de croissance qui était de 6% avant la révolution a chuté à 1%. Le tourisme, tout particulièrement, s'est effondré. 90% de touristes en moins au Caire! Partout les entreprises licencient. Les investisseurs ont peur et s'abstiennent d'engager le moindre dinar ou le moindre piastre. A présent, la dépression économique menace les acquis démocratiques encore très fragiles. A cette situation d'économies sinistrées, s'ajoutent les inquiétudes concernant les évolutions démocratiques. Après des années où les oppositions ont été combattues, muselées, persécutées, qui peut incarner la relève et l'espoir? En Egypte particulièrement, les populations ne sont pas formées au jeu démocratique. Cela ne risque-t-il pas de favoriser les populismes? Ces derniers mois, les Egyptiens ont découvert que les courants islamistes ne se résumaient pas chez eux, comme ils le pensaient, à la puissante confrérie des Frères musulmans. Plusieurs groupes salafistes sont apparus au grand jour. Et la crainte se développe dans les milieux démocratiques que l'aile dure des Frères musulmans soit tentée de flirter avec les revendications salafistes. En attendant, les troubles à l'ordre public sont nombreux. Ainsi, jamais les affrontements confessionnels, opposant chrétiens coptes et musulmans, n'avaient été aussi fréquents et aussi meurtriers. D'aucuns pensent que des membres de l'ancien régime seraient à l'origine de ces troubles. Réunis ces derniers jours à Deauville, en France, les dirigeants du « G8 », ce groupe de discussion et de partenariat qui rassemble huit des plus riches pays du monde ( Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada et Russie ) se sont engagés sur une aide de quarante milliards de dollars aux pays amorçant un processus démocratique. Quarante milliards de promesse de la part de pays eux-mêmes lourdement endettés. Comment cet argent va-t-il pouvoir être débloqué? Les institutions internationales devraient en payer une large part, ainsi que les pays du Golfe, pourtant si peu démocratiques, qui sont appelés à mettre la main à la poche! Si cet argent parvient à être réellement débloqué et versé, il faudra, cependant, qu'il le soit dans des conditions de transparence. Ainsi, les milliards d'aide accordés par les Etats-Unis à l'Egypte depuis plus de trente ans, n'ont servi qu'à enrichir des prédateurs. Tunisie et Egypte ont commencé des révolutions politiques. Celles-ci n'aboutiront heureusement que si se déroulent, aussi, des révolutions économiques.