C'est habités par l'effroi et un grand sentiment d'impuissance que nous suivons fébrilement ce qui se passe ces jours-ci en Libye. Dans ce pays, le «printemps arabe» prend les couleurs d'«un printemps de sang». Un tyran sanguinaire dont on ne sait s'il est réellement fou, a promis «une boucherie» à tous ceux qui, de plus en plus nombreux parmi les six millions et demi de Libyens, réclament son départ au bout de quarante deux ans de dictature (depuis qu'il a renversé le roi Idriss 1er, de la famille des Senoussi). De fait, le carnage a commencé. Il y a déjà des milliers de morts, et nul ne sait comment tout cela va pouvoir s'arrêter. Issu de la petite tribu des Kadhaf, Mouammar Kadhafi essaye encore, comme il l'a toujours fait, de jouer les tribus contre les tribus. Surtout, il semble toujours pouvoir compter sur les importantes forces de répression sur lesquelles il a construit son régime : gardes et comités «révolutionnaires», police politique, «forces spéciales» et, aussi, milices de mercenaires venus d'Afrique subsahélienne. Un temps «ennemi numéro un» des Etats-Unis qui, à l'époque du président Reagan, tentèrent même de l'assassiner dans un bombardement raté, le «guide» de «l'Etat des masses» (la «Jamahiriya») est redevenu fréquentable ces dernières années pour les pays occidentaux, après avoir habilement renoncé à ses actions terroristes internationales et, surtout, après avoir signé avec ces pays divers accords, soit commerciaux (le pétrole), soit concernant la sécurité et le contrôle des flux migratoires. On peut espérer que, aujourd'hui, les dirigeants américains et européens qui ont voulu croire dans la «conversion» du dictateur libyen, ne doivent pas être très fiers de leurs compromissions. Ces jours-ci, la Libye se révèle profondément morcelée entre ses régions, ses villes et ses tribus. Cela ne doit pas nous étonner. Le pays, dans sa configuration administrative et politique actuelle, est très récent: soixante ans seulement. Avant le vingtième siècle existaient trois pays différents: la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan. Dans l'Antiquité, une partie de ces régions a été colonisée par les Grecs, puis par les Romains. La Cyrénaïque a appartenu un temps à l'Egypte, et la Tripolitaine à l'Empire byzantin. Du XIII ème au XIX ème siècle, une dynastie d'origine marocaine, les Oulad Mohammed, a régné sur le Fezzan. Du début du XVI ème siècle jusqu'à 1912, ces territoires furent des possessions de l'Empire ottoman. Au début du XIX ème siècle ( entre 1805 et 1815 ), la Régence de Tripoli se retrouva deux fois en guerre avec les Etats-Unis d'Amérique, suite à des désaccords sur l'impôt que devaient payer les Américains pour bénéficier de la protection de leur commerce contre la piraterie! En 1911, sous prétexte de secourir ses citoyens qui vivaient à Tripoli et se sentaient menacés, l'Italie déclara la guerre à l'Empire ottoman. C'est ainsi qu'elle prit possession de ce qui allait devenir, en 1951, la Libye. Mais au cours de la Seconde Guerre mondiale, ce pays perdit ses colonies. Suite aux victoires militaires du général Leclerc, le Fezzan passa, de 1943 à 1951, sous administration française. Qui, en France, s'en souvient encore?