“Le vent du détroit“ est le titre d'un livre de Bernard Collet. Cet auteur y évoque des souvenirs relatifs à Casa. Il y parle aussi d'amour. La plus belle histoire d'amour de ce livre demeure toutefois sa prose qui risque de conquérir bien des lecteurs. Comment parler d'un livre dont le genre est indécis ? Ni récit, ni roman. Juste des évocations de littérature pure. Une prose pleine et rythmée, s'ouvrant toutes grandes les portes de la littérature. Un plaisir du texte, renouvelé à chaque phrase. “Les yeux fermés. Il n'y a plus d'air. J'entre dans une rue déserte. J'entends des pas dans le soleil, des chants de moineaux dans les haies de bougainvillées et la dispute soudain de deux d'entre eux, des déchirements de gosiers, puis le calme revenu, le bruit des vagues dans un arrière plan sonore“. Une prose discrètement lyrique, comme si elle craignait de heurter des sensibilités en faisant entendre, dans sa chevauchée, le bruit de ses sabots. Il n'y a pas d'histoire dans “Le vent du détroit“. Certes, il y a une rencontre, celle du narrateur avec Sanaa. Une histoire d'amour qui n'est pas simple. En existe-t-il de simples ? Mais il n'existe pas de progression dans la narration des détails de cet amour, ni vraiment de dénouement. Juste des instantanées dans un cadre, qui change peu. Les descriptions de Sanaa sont proustiennes. Le lecteur trouvera bien des parentés entre la délicatesse de la “Sanaa qui dort“ et l'indépassable description d'Albertine endormie dans “La prisonnière“. Le livre de Bernard Collet est en grande partie fondé sur des souvenirs. Cette fois-ci : non pas à la manière d'une madeleine proustienne qui réveillerait des sensations enfouies, mais à la façon d'un chant de sirène dont on attend qu'il provoque un retour. Ce retour s'opère vers un lieu, un seul, le Maroc. “Ce sont des bruits qui me viennent, le chant interrompu d'un moineau (…) Je vois la blancheur rêche des murs, leurs faîtages de tuiles vernis et la turbulence des ombres sur le sol des figuiers bleus“. La rencontre avec Sanaa est propice, peut-être est-elle même un prétexte, pour imprimer des souvenirs relatifs à Casablanca. Le livre entier peut être placé, à cet égard, sous l'impérieuse reconquête de soi dans des lieux retrouvés. “Je ne sais où je vais, je ne cherche pas de repères, je n'essaie pas de reconnaître des lieux“. Comment s'interdire, au grand dam des exégèses de textes littéraires, d'abolir toute distinction entre narrateur et auteur ? Bernard Collet est né en 1950 à Casablanca. Il a quitté cette ville à l'âge de 16 ans pour aller vivre à Lyon. Mais le regard de cet écrivain, qui admet la justesse du verbe “expatrier“ lorsqu'on lui rappelle son départ du Maroc, ne cesse de se poser sur notre pays. Il revient d'ailleurs souvent à Casa, et y initie discrètement des manifestations culturelles. Le fait qu'il ait choisi un éditeur marocain pour un texte, dont la valeur littéraire aurait pu convaincre de grandes maisons d'édition, est en soi un signe éloquent de cet attachement.