En l'espace de quelques jours, Mustapha Ramid, le chef de file des députés islamistes, attaque les trois pouvoirs institutionnels de l'Etat de droit marocain et tente d'impliquer l'institution monarchique dans la propagande politicienne islamiste en interprétant la lettre de condoléances que Sa Majesté le Roi lui avait adressée suite au décès de son père comme un message politique. Les dirigeants du Parti de la justice et du développement (PJD) semblent vouloir donner un tournant dangereux à leur ligne politique. Ils multiplient les sorties politiquement agressives à l'encontre des institutions, ils s'attirent les foudres de la classe politique, ils attaquent l'administration publique, ils accusent les autorités territoriales d'harcèlement, etc. Bref, c'est la paranoïa totale qui s'est installée dans la demeure islamiste. Le dernier symptôme révélant leur atteinte de cette pathologie est bel et bien la sortie médiaticopolitique de Mustapha Ramid. Le chef sortant du groupe parlementaire du PJD a tenu une conférence de presse dans laquelle il a tenté de «rétablir la vérité» – à sa manière – sur l'affaire dite de «la caravane médicale de Sidi Bennour». Pour rappel, l'affaire avait éclaté la semaine dernière lorsque Me Ramid a annoncé son intention de démissionner du Parlement en protestation contre ce qu'il avait qualifié d'«interdiction» par le ministère de l'Intérieur d'une activité sociale qu'une association allait faire dans la région de Sidi Bennour. Deux jours plus tard, un communiqué du secrétariat général du PJD annonce le rejet de ladite démission. Et, mercredi, le député islamiste a tenu une conférence de presse pour annoncer qu'il renonce sous la pression de son parti, dit-il, à mettre en exécution sa menace de démissionner. Voilà toute l'histoire. Un scénario des plus classiques : «Retenez-moi ou je reste». Toutefois, ce qui s'est passé et ce qui s'est dit à la conférence de presse ne devrait pas rester sans suites politiques. Me Ramid et les siens devraient savoir que le jeu politico-islamiste qu'ils font et qui est basé sur la propagande, le populisme et la légèreté dans les accusations et les déclarations, a des limites qu'il ne faut pas franchir. Notamment en ce qui concerne les fondements institutionnels et juridiques sur lesquels se base la vie politique marocaine. En fait, durant les derniers jours, le chef de file sortant des députés islamistes a porté atteinte aux trois pouvoirs qui constituent l'Etat de droit marocain. Il a accusé l'administration – donc le pouvoir exécutif – de partialité, il a taxé la Chambre des représentants – donc le pouvoir législatif – d'impuissance et il a accusé le pouvoir judiciaire de malhonnêteté. S'agissant du pouvoir exécutif, il a accusé trois départements ministériels, à savoir l'Intérieur, la Santé publique et l'Éducation nationale d'avoir interdit « une action humanitaire » qu'il comptait faire à Sidi Bennour. Faux selon toutes ces administrations. Primo, il dit disposer d'une lettre qu'il aurait adressée au gouverneur sur cette affaire. Possible, mais aucune demande officielle n'a été déposée auprès du Caïdat territorialement compétent en la matière, ce qui est une procédure incontournable dans ce genre d'affaires. L'avocat islamiste l'ignore-t-il ? Ce n'est pas possible pour un juriste de son niveau. Secundo, il affirme avoir déposé une demande auprès du délégué de la Santé publique à Sidi Bennour, or il se trouve qu'il n'y a pas de délégué de ce département dans cette localité. Une source autorisée affirme que ladite demande avait été remise au directeur de l'hôpital local qui n'a pas autorité en la matière. Tertio, il affirme que le directeur d'une école publique lui aurait signifié son accord pour l'organisation de l'événement en question. Faux : le directeur avait répondu qu'il ne voyait pas – à son niveau – d'inconvénient, mais qu'il fallait «impérativement» demander l'autorisation des autorités locales conformément aux procédures en vigueur. Trois affirmations erronées portant en elles trois accusations inacceptables pour ces départements et, à travers eux, à l'ensemble de l'exécutif. Or, il se trouve que Mustapha Ramid n'est pas membre de ladite association et cette association, de l'aveu même du communiqué du PJD, a fait plusieurs activités à travers l'ensemble du territoire national. Elle n'est donc pas interdite d'activité. En fait le problème est simple: Me Ramid n'est pas concerné par cette affaire pour deux raisons. D'abord, il n'est pas membre de l'association et il n'est pas député de Sidi Bennour. Résumé de l'affaire : des présumées demandes émanant de personnes qui n'ont pas la qualité pour parler au nom de l'association ont été adressées à des fonctionnaires n'ayant pas la qualité de donner suite à leurs demandes. C'est le ridicule avec circonstances aggravantes puisqu'il s'agit d'un avocat. Pour ce qui est du pouvoir législatif, la «calomnie» est établie puisque Me Ramid a consigné dans une déclaration officielle et a réaffirmé lors de son point de presse que, pour lui, la Chambre des représentants était «marginalisée» et que les députés étaient «sous embargo». La Chambre des représentants ayant fermement réagi via un communiqué de son bureau, l'affaire est claire (voir page 5). Enfin, l'avocat islamiste s'est permis de juger et condamner publiquement le pouvoir judiciaire en le taxant de partialité et de malhonnêteté. Interrogé par un journaliste lors de son point de presse mercredi sur le fait qu'il n'ait pas décidé de recourir à la justice dans l'affaire de Sidi Bennour, il a répondu tout simplement qu'il n'y a pas pensé car il considère que la justice est malhonnête. Voilà tout le système institutionnel marocain qui est jugé entièrement défaillant par le dirigeant islamiste. Un comportement, pour le moins irresponsable quand il s'agit d'un représentant de la Nation dont la légitimité émane des fondements institutionnels de l'Etat. Mais, le comble de l'irresponsabilité de l'attitude adoptée par Me Ramid ces derniers jours est le fait qu'il ait impliqué d'une manière hasardeuse l'institution monarchique dans sa nouvelle stratégie de propagande islamiste. Lors du point de presse qu'il a tenu mercredi, il a invoqué la lettre de condoléances que Sa Majesté le Roi lui avait adressée le mois dernier suite au décès de son père et lui a donné une interprétation personnelle en la qualifiant de message favorable au PJD envoyé à l'ensemble de la classe politique et aux administrations publiques. L'analyse de l'ensemble des déclarations faites tant par le député islamiste que par les dirigeants de son parti et les communiqués qu'ils ont publiés ces derniers temps pousse l'observateur à s'interroger si le PJD compte passer de l'opposition au gouvernement à l'opposition aux institutions ? Si c'est le cas, nous sommes devant une dérive dangereuse à laquelle l'ensemble de la classe politique est appelé à faire face avec la fermeté qu'il faut.