Professeur de droit à l'Université des sciences juridiques Mohammed V à Rabat, Mohamed Ali El Hassani suit avec intérêt l'actualité politique et économique du pays. En temps que membre du Bureau politique de l'UC, il pense que la gestion politique du «dossier pain» a été désastreuse. ALM : Comment percevez-vous les hausses annoncées sur le prix du pain? Mohamed Ali El Hassani : En tant que citoyen marocain, je vois s'opérer ces hausses en ayant à l'esprit que le pouvoir d'achat des couches les plus défavorisées a encore régressé. L'impact psychologique de l'augmentation des prix du pain est donc important pour les six millions de pauvres que compte le Maroc. Quant au gouvernement, ce n'est pas en stoppant cette hausse de manière provisoire, jusqu'à l'après l'Aïd El Kébir, qu'il résoudra le problème. Ce report a été fait uniquement par raison politique. Rien n'a donc été règlé. Ce n'est que partie remise. D'un côté, le Premier ministre juge ces hausses inopportunes. De l'autre, le ministre Abderrazak El Mossadaq les justifie par la loi sur la concurrence. N'y a-t-il pas contradiction ? Vous savez les citoyens ne font pas la différence entre les textes de lois, mais ils voient se déprécier leur pouvoir d'achat. Les oppositions entre le Premier ministre et le ministre des Affaires générales du Gouvernement révélent l'hétérogénéité de l'équipe actuelle. Le ministre El Mossadaq a une vision technocratique déconnectée des réalités. Le report des hausses prévues à l'après l'Aïd est-il fait pour modérer l'impact sur les populations ? Que ce soit après ou avant, l'impact reste le même. Il est vrai que la période de l'Aïd El Kébir n'est pas bien indiquée pour opérer ces hausses. Les familles se battent pour leur mouton. Leur faire subir une hausse du pain peut provoquer un impact psychologique important. Mais ce n'est pas en reportant la hausse à telle ou telle date que ce problème sera règlé. Les hausses prévues entament-elles vraiment le pouvoir d'achat du citoyen ? L'impact, je le répéte, est d'abord psychologique avant d'être financier. C'est une denrée dont le prix ne doit pas être augmenter du jour au lendemain. Mais tout de même, le pain a été libéralisé. Comme l'a dit le ministre de tutelle, cette denrée ne figure plus sur la liste des produits dont les prix sont contrôlés. Je ne suis pas contre la libéralisation. Mais il ne faut pas se tromper d'objectifs. Il y a des secteurs-clés comme les télécoms qu'il faut libéraliser, des entreprises étatiques qu'il faut privatiser. Le pain constitue l'essentiel de la nourriture à la campagne. C'est un élément présent dans le subconscient du Marocain et de l'Africain. Je suis pour la libéralisation quand celle-ci suit les intérêts de la nation. Le rapport de la Banque mondiale dit que 20% de la population vit avec un revenu inférieur à 1 dollar par jour. Il ne faut pas que ce soit à ces populations pauvres de supporter les réformes et la libéralisation. L'impact de la hausse sur la population n'est-il pas limité puisque il semble que le pain concerné n'est consommé que par 6% de la population. Vous savez, les statistiques sont ce qu'elles sont. On peut leur faire dire ce qu'on veut. La réalité est autre. Il y a une structure de consommation au Maroc très ancrée sur le pain. C'est ça la vérité. Toute hausse se répercute sur l'ensemble des habitudes de la consommation. Les statistiques sont secondaires. Donc, vous pensez qu'il faut subventionner de nouveau le pain Il faut à mon avis continuer de subventionner partiellement certains produits de base, sachant qu'il y a moyen de compresser ailleurs. Il faut agir, mais pas dans le langage ou les colloques. C'est sur le terrain qu'il faut opérer. Rien ne sert de raisonner avec un ordinateur et des statistiques. Un jour ou l'autre, la politique de subvention prendra fin. Cela doit se faire en paralléle avec l'évolution des emplois, la croissance du PIB. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Quelle attitude adopter donc face aux boulangers ? Pour faire une bonne politique de police sociale, il faut raisonner avec les réalités marocaines. Le ministre Abderrazak El Mossadaq doit descendre sur le terrain, aller dans les souks, à la campagne, voir comment vivent les gens. C'est beaucoup plus clair que les statistiques. L'approche de la libéralisation ne doit pas être globale, mais selective. Cela dit, reconnaissons quand même que la tâche du gouvernement n'est pas aisée. C'est une équation difficile et qu'il faut résoudre d'abord en diminuant le train de vie de l'Etat. La mise à niveau des entreprises publiques dégagerait d'importantes économies. Il y a une réelle carence gouvernementale en matière de gestion économique comme vous l'avez vu avec cette incapacité de prendre des décisions claires à chaque fois que cela s'impose. La performance d'un gouvernement c'est d'essayer de concilier l'inconciliable. Tout le monde est d'accord sur la nécessité de la libéralisation. Il faut mener les réformes maintenant en prenant en compte nos réalités. Ce que le gouvernement actuel n'arrive pas à faire par manque de courage ou de vision.