Bernard Kouchner est en train de jouer une étrange partition tout à fait à contre-courant de la symphonie générale. Que se passe-t-il au sein de la parole diplomatique française ? Est-elle en train de vivre un schisme et une schizophrénie permanente ou s'agit-il tout simplement d'un diabolique partage des rôles entre l'Elysée et le Quai d'Orsay ? A voir les dernières et fracassantes sorties du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et les non moins violents recadrages de François Fillon et de Nicolas Sarkozy, la tentation est grande de constater que le ministre en titre des Affaires étrangères est en train de jouer une étrange partition tout à fait à contre-courant de la symphonie générale. Deux sujets sensibles ont parfaitement illustré récemment ce dédoublement de parole. Le premier concerne l'approche de l'Etat palestinien. A la veille de la visite du président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas à Paris, Bernard Kouchner s'est précipité au «Journal du Dimanche» pour lâcher une des idées les plus inédites sur la manière de solutionner le conflit israélo-palestinien, celle qui consiste à envisager de reconnaître un Etat palestinien avant la fin du processus de négociation. Pour les familiers de la retenue européenne sur le sujet, l'idée semblait révolutionnaire, voire subversive. Du Moyen-Orient où il effectuait une tournée à caractère économique, le Premier ministre François Fillon s'est cru obligé de tempérer les ardeurs de son ministre des Affaires étrangères et dire que la priorité pour la France est d'aider à enclencher le processus de négociation. A Paris où il recevait Mahmoud Abbas, Sarkozy s'interrogeait à haute voix : à quoi servirait un Etat palestinien sans frontières, sans continuité géographique et sans moyens de fonctionner ? Cette position tranchée sans nuance fut perçue comme un désaveu public d'une proposition lancée par le ministre des Affaires étrangères et qui fait polémique à Tel-Aviv et à Bruxelles, sans parler du choc émotionnel qui a dû être ressenti à Washington. Ce qui pousse à s'interroger sur la réalité et les arrière-pensées de cette sortie. S'agit-il d'une brusque lubie qui a saisi un ministre qui cherche à capter les grands titres de l'actualité et à faire parler de lui ou est-il question d'un ballon d'essai mûrement planifié pour faire réagir et transmettre les messages. Le second sujet sur lequel Bernard Kouchner semble avoir marqué un son diplomatique clivant est celui de l'Algérie lorsqu'avec des mots crus, il a estimé que la relation entre la France et l'Algérie «sera peut-être plus simple» lorsque la génération de l'indépendance ne sera plus au pouvoir. Cette déclaration a rajouté à l'ire algérienne contre la France un palier supplémentaire. Déjà aux prises avec Paris sur l'opportunité de criminaliser, par voie parlementaire, les œuvres du colonialisme deux ans avant le cinquantième anniversaire de l'indépendance, Alger a vivement réagi aux propos de Bernard Kouchner qui n'est plus sûr d'être le bienvenu dans ce pays. Pour faire baisser la tension entre les deux pays, Nicolas Sarkozy a dépêché à Alger ses deux véritables globe-trotters de la diplomatie secrète qui sont Claude Guéant le secrétaire général de l'Elysée et Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique. Une manière de souligner le fossé de plus en plus béant qui le sépare du Quai d'Orsay.