Si Alain Juppé était en train de marquer sa différence pour mieux se préparer un avenir, l'UMP toujours prompte à exécuter toutes formes de critiques à Sarkozy, reste muette sur le cas Juppé. La moindre des évidences politiques est que Nicolas Sarkozy puisse compter sur les grandes voix de sa majorité présidentielle quand il s'agit de se prononcer sur les grands sujets qui configurent son quinquennat. Or s'agissant d'un débat aussi pointu, aussi sensible que celui organisé sur l'identité nationale, une voix importante commence sérieusement à lui faire défaut. Celle d'Alain Juppé, actuel maire de Bordeaux et ancien fils préféré de Jacques Chirac. L'homme commence à faire entendre une petite musique qui ressemble étrangement à un air d'opposition et de distinction. Non seulement il s'interroge à haute voix sur l'utilité d'un tel débat, mais fustige, argument à l'appui, sa dangerosité et sa capacité à dresser en France les communautés les unes contre les autres. Pour lui la vraie question est la suivante : «Aujourd'hui, quelle est la capacité d'accueil de la société française vis-à-vis de ceux qui la rejoignent, en particulier les musulmans ?» Alain Juppé marche ainsi sur les traces de deux anciens Premiers ministres de droite, le premier Dominique de Villepin qu'une odyssée judicaire oppose à Nicolas Sarkozy dans la célèbre affaire Clearstream et Jean-Pierre Raffarin qui, amer, a pris ses distances avec l'Elysée depuis que le président de la République lui avait préféré Gérard Larcher à la présidence du Sénat. Et pourtant rien ne destinait Alain Juppé à finir, sinon dans l'opposition à Nicolas Sarkozy, du moins dans la critique acerbe de ces projets de réformes. Non seulement son retour au gouvernement était régulièrement annoncé dans les gazettes, mais signe que le président de la République tenait sa stature et éventuellement sa capacité de nuisance en grande estime, il l'avait nommé en compagnie de l'ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard à la tête de la commission chargée de réfléchir sur les grands chantiers qui devrait accueillir la semence du grand emprunt national lancé lors du congrès de Versailles. Le débat sur l'identité nationale, de plus en plus impopulaire chez les Français, n'est pas le premier sujet sur lequel Alain Juppé avait fait entendre sa différence. La taxe professionnelle, le nouveau redécoupage territorial et le grand emprunt l'avaient fait sortir de ses gonds. Après avoir été prononcée sur un ton exaspéré, la critique d'Alain Juppé à l'égard de certaines réformes et autre actions de Nicolas Sarkozy devient méthodique. Et il n'en fallait pas plus pour y déceler le retour d'une ambition, jadis éteinte par les démêlés judicaires issus de l'héritage Chirac et les déboires politiques provoqués par l'encombrement dans le leadership de la famille de la droite. Et si Alain Juppé était en train de marquer sa différence pour mieux se préparer un avenir. Le parti du président, l'UMP, toujours prompt à exécuter avec une effervescence passionnée, toutes formes d'opposition ou de critiques à Nicolas Sarkozy, reste muet sur le cas Juppé. Ce qui peut être interprété d'une double manière : ou la réflexion n'a pas encore été menée pour identifier Alain Juppé comme un allié objectif de l'opposition comme peuvent l'être Dominique de Villepin ou Jean-Pierre Raffarin. Ou les négociations souterraines pour calmer les ardeurs du maire de Bordeaux n'ont pas encore abouti.