Bernard Kouchner et Eric Besson se sont opposés de manière frontale. Le verbatim se passe de tout commentaire. Ceux qui ont longtemps cru que l'échafaudage de l'ouverture politique à gauche voulu par Nicolas Sarkozy tomberait sous les coups de boutoir d'une droite frustrée et amère de voir son champion offrir les meilleurs fromages de la République à ses pires ennemis, se sont peut-être trompés dans leurs pronostics. Il est vrai que l'état d'âme maussade, sans passion, dépourvue de combativité de cette droite, participe largement à créer des malaises perceptibles au sein de la gouvernance de Nicolas Sarkozy, mais elle ne poussera pas l'audace jusqu'à dynamiter son projet. Le réel danger pour le président de la République est en train de pointer son nez des rangs de ce casting d'ex-personnalités de gauche auxquelles Nicolas Sarkozy avait fait appel pour garnir son gouvernement. Le feu brûle entre deux icônes de cette ouverture : Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et Eric Besson, ministre de l'Immigration. Les premières alertes visibles ont été perçues lorsqu'à la surprise générale, Bernard Kouchner prend à rebrousse-poil l'opinion gouvernementale dominante sur la nécessité d'organiser un grand débat sur l'identité nationale piloté par Eric Besson. Et alors que le discours dominant de la majorité présidentielle se gargarisait de la fierté de voir appliquer une des promesses phares du candidat Sarkozy, Bernard Kouchner a rejoint les voix discordantes qui avaient exprimé des réserves et sa méfiance quant à l'utilité et la pertinence d'un tel débat jugé «théorique». Ce fut une première étincelle. Il est aisé d'imaginer la fureur dans laquelle Nicolas Sarkozy et Eric Besson sont entrés, de voir un des symboles les plus visibles du gouvernement donner du grain à moudre au tir d'attaques groupé venant de la gauche et de l'extrême droite, tous d'accord pour une fois pour dénoncer l'agenda électoral du président de la République et sa tentation d'y instrumentaliser l'identité nationale. Mais la déflagration est venue par le biais de la polémique sur la nécessité de renvoyer des clandestins afghans chez eux. Et là, les deux hommes, Bernard Kouchner et Eric Besson, se sont opposés de manière frontale. Le verbatim se passe de tout commentaire. Sur ces expulsions, Bernard Kouchner dit : «Je pense que ce ne n'est pas comme cela qu'il faut faire. Surtout quand on se bat là-bas. Je pense que ce n'est pas utile, je l'ai dit à Eric Besson (...), au président». Ce à quoi, Eric Besson répond avec une violence peu coutumière et une franchise inédite : «Je rappellerai tout simplement d'abord que Bernard Kouchner était présent (...) lorsque le président de la République a annoncé des retours forcés. J'imagine que s'il avait un désaccord majeur, il a eu l'occasion de s'en expliquer avec le président (…) Je travaille main dans la main avec les ministres européens chargés de ces questions et, par ailleurs, si j'ai des directives à prendre, je les prends auprès du président de la République et du Premier ministre». Bernard Kouchner est depuis quelques temps sous pression. Quand Nicolas Sarkozy charge le socialiste Jack Lang d'une mission en Corée du Nord ou Robert Bourgi en Afrique, les journalistes trouvent un plaisir sadique à gratter sur la plaie, provoquant parfois des réactions épidermiques de Bernard Kouchner sur le ton qui lui est cher, celui de l'indignation: «Voulez-vous insinuer que je ne sers à rien ?» avait-il lancé à une journaliste de Canal+. La mésentente entre Bernard Kouchner et Eric Besson a de fortes chances de perdurer et même de s'aggraver. Ils incarnent deux styles de ralliement à Nicolas Sarkozy. Le premier veut servir en gardant sa marge de manœuvre et sa capacité d'indignation. Le second se fond littéralement dans les habits et les idées de Nicolas Sarkozy au point d'en devenir le meilleur élève et l'emblème le plus efficace. A l'heure des grands choix, il est facile d'imaginer l'identité du sacrifié.