Abdesslam Yassine n'est plus souffrant. Il a retrouvé la forme faisant taire du coup les manœuvres de succession. Mais les divergences sur la stratégie de Al Adl Wal Ihssane demeurent. Nadia Yassine est heureuse. Elle se fait de moins en moins de soucis quant à la santé de son père. En effet, Abdesslam Yassine, 78 ans, n'est plus alité, ayant réussi à dépasser les problèmes respiratoires sérieux dont il souffrait en raison d'une vieille tuberculose mal soignée. L'état de santé du leader de Al Adl Wal Ihssane était tel que les manœuvres de succession avaient commencé. La rivalité était particulièrement acharnée entre la vieille garde et les jeunes loups. Sans que personne ne sache trop si le mouvement, incarné par son fondateur, allait continuer à rester ce qu'il était. Car tout le monde en était conscient : il est difficile de succéder à l'ex-reclus de Salé, un homme qui a marqué de son empreinte l'histoire et le parcours du mouvement. Le leader guéri, les appétits des uns et des autres ont été remisés. Pour combien de temps encore ? Mais les rivalités internes n'ont pas perdu de leur intensité, rythmant l'ambiance à l'intérieur de l'association islamiste toujours non reconnue par les autorités. La reconnaissance n'est pas pour demain. Cette onction qui permettra à l'organisation de participer aux prochaines élections. Sur ce registre, le cheikh est clair. Pour lui, il est hors de question que Al Adl Wal Ihssane, tant qu'il est en vie, prenne part aux échéances électorales. Autrement il “cautionnerait un jeu politique“ qu'il juge “perverti et truqué“. Ce serait à ses yeux renoncer à un fonds de commerce sur lequel il a bâti toute la stratégie de son mouvement à coups de dénonciations démagogiques de l'injustice, de la corruption et de la dépravation sociale. Les proches du chef, ceux qui sont de sa génération comme Mohamed Ali Souleïmani, partagent la même vision. Ils prônent une ligne rigoureuse basée sur l'éducation de la population aux règles de l'Islam. En fait, le recrutement des masses des déshérités et des frustrés qu'il s'agit d'embrigader pour en faire un jour des bataillons qui “ changeraient naturellement l'ordre des choses“. Avant l'heure ce n'est jamais l'heure. Bien entendu, cette politique du long temps n'arrange pas les affaires de la jeune garde qui aspire à prendre du garde, incarnée par Fathallah Arsalane, Abdelouahed Moutawakil et autres Abdellah Chabani… Ceux-là militent pour que Al Adl Wal Ihssane participe au jeu électoral, de préférence aux élections communales. Argument de cette frange de l'association : celle-ci est suffisamment implantée dans la société qu'elle a travaillée des années durant pour réaliser un raz de marée lors des communales. Ce sera l'occasion pour l'organisation de renforcer davantage sa position dans le paysage et surtout dépasser leurs discours jugés populistes et creux par leurs adversaires qui les accusent de parler en l'air sans avoir de programme précis. En un mot, les communales offriraient à Al Adl Wal Ihhsane l'opportunité de corriger sur le terrain le désastre de la gestion communale et par la même montrer à tous de quel bois leurs futurs élus locaux se chauffent. C'est ce qu'un jeune cadre islamiste appelle la politique des petits pas qui cache mal une certaine impatience de goûter aux délices du pouvoir quitte à y perdre un peu de leur âme. Abdesslam Yassine et ses compagnons usent de tout leur ascendant pour réfréner les ardeurs “réformistes“ de ses ouailles“participationnistes“. Ces derniers adoptent pour le moment un profil bas, jouant le jeu du cheikh, conscients qu'ils ont le temps pour eux et que l'avenir leur appartient.