L'option marocaine pour Al Jazeera s'explique autrement et plus sobrement par l'air de liberté qui souffle sur le Royaume. Malheureusement, pour s'en rendre compte, il ne faut surtout pas être algérien quand il s'agit du Maroc. Il fallait la trouver. Et pour la trouver, il fallait bien un journal algérien : Le Jour d'Algérie. Considérant qu'il y aurait une relation entre «les facilités» accordées par le Maroc au bureau d'Al Jazeera à Rabat et la cause sahraouie», le journal explique que le Maroc chercherait par le truchement de la chaîne qatarie à titiller le voisin pour «son attachement au principe de soutien à la décolonisation et au droit des peuples à l'autodétermination». On l'aura compris, Al Jazeera horripile les Algériens autant qu'elle agace les Marocains. Pour les mêmes raisons d'ailleurs : la connivence de cette chaîne de télévision avec les tendances islamistes et la glorification par une surexposition médiatique des actes terroristes. Mais de là à imputer le choix de Rabat par Al Jazeera au fait que le Maroc a de tout temps attiré les chefs d'Al Qaïda qui jouiraient de l'indulgence des services secrets marocains, il y a une affabulation toute algérienne à ne pas faire. Qu'il s'agisse d'Alger ou de Casablanca, on ne peut dire que la chaîne a une préférence particulière et il faut avoir une propension à une auto-victimisation très spécifique aux voisins pour ne pas le voir. C'est Al Jazeera qui a rêvé pour nous avant les législatives de septembre dernier de la déferlante verte et c'est encore elle qui a fait, pour cette raison, l'objet d'un tir de barrage médiatique de la part quasiment de tout ce que le Maroc compte de forces politiques. L'option marocaine pour Al Jazeera s'explique autrement et plus sobrement par l'air de liberté qui souffle sur le Royaume. Malheureusement, pour s'en rendre compte, il ne faut surtout pas être algérien quand il s'agit du Maroc. Les vigiles, notamment ceux du transport de fonds, pourraient être à l'avenir autorisés à porter les armes. Et donc, le cas échéant, à les utiliser. C'est ce que l'on peut déduire d'un communiqué de la DGSN. Jusque-là le port d'armes par le personnel des entreprises de sécurité était prohibé. L'Etat exprimait par là son attachement à sa responsabilité incessible pour tout ce qui se rapporte à la sécurité des biens et des personnes. L'autorisation qui sera accordée traduit en conséquence un changement de doctrine qui colle bien à l'air du temps. La montée de l'insécurité sous les coups de la démographie et de l'acuité des problèmes sociaux ainsi que l'évolution des formes du banditisme l'ont rendu nécessaire. Il requiert toutefois plusieurs gardes-fous. Les uns sont déjà prévus par la loi, d'autres apparaîtront dans l'exercice de la fonction. Tout le problème est dans cette dimension pratique de la nouvelle prérogative accordée aux entreprises de sécurité et à leurs agents qui cohabitent encore avec leurs ancêtres les gardiens de nuits dans les quartiers et les gardiens de voitures. Dans le Monde diplomatique de ce mois, un professeur de philosophie, Martin Mongin, évoque le risque que fait peser le gardiennage privé, armé ou pas, sur les libertés publiques. Dans leur fonction, écrit-il, «on passe imperceptiblement de l'information à la prévention, de la prévention à l'intervention et de l'intervention à la répression.» De telle manière qu'ils deviennent de fait des auxiliaires de la Sûreté nationale si ce n'est de la justice. Accessoirement de gentils et efficaces informateurs. Mais c'est une évolution, semble-t-il, inévitable. Dans «Une brève histoire de l'avenir», Jacques Attali* prédit que dans l'hyperempire qui succèdera à l'hyperpuissance américaine dans moins de trente ans, «tout sera privé, y compris l'armée, la police et la justice.» On pourra alors, peut-être, porter plainte devant une SA et commander une guerre contre un voisin à une multinationale. Mais à quel prix ?