Al Qaïda au Maghreb islamique ne veut plus s'attaquer aux civils mais aux services de sécurité, affirme le chercheur spécialiste des mouvements terroristes, Mohamed Darif. ALM : La question sécuritaire a été au centre de plusieurs réunions sécuritaires à Rabat. Peut-on en déduire l'approche d'un nouveau danger terroriste au Maroc ? Mohamed Darif : Ce genre de réunions est régi par deux dimensions. Il y a d'abord une dimension structurelle ayant trait aux menaces terroristes en général. La lutte antiterroriste est devenue une constante de la politique sécuritaire au Maroc. Les autorités veillent à mener une politique sécuritaire préventive visant à anticiper et, par conséquent, parer à de nouveaux attentats terroristes. Il y a, ensuite, une dimension conjoncturelle. Cette dimension a pour finalité d'actualiser des données fournies par les services de renseignements occidentaux, notamment français, espagnols et américains. Il y a toujours des nouveaux dans les rapports livrés par ces derniers services, ce qui exige la tenue de ces réunions. La réunion, tenue lundi au siège de la DGED, à Rabat, ajoutée à la réunion des walis et gouverneurs qui a eu lieu mardi sous la présidence du ministre de l'Intérieur, Chakib Benmoussa, s'inscrivent dans la dimension conjoncturelle. Ces réunions se sont tenues sur la base de nouveaux éléments d'informations fournis par les renseignements étrangers, mais aussi sur la base d'informations collectées par les services de sécurité nationaux. Que pensez-vous du timing de cette mobilisation ? Le Nouvel An est devenu un souci pour les services de renseignements notamment étrangers, d'autant plus que le Nouvel An symbolise l'identité chrétienne. Cela dit, les terroristes n'accordent pas un grand intérêt à ce timing. La preuve est que, excepté les attentats de Bali en 2002, les attaques terroristes n'ont pas eu lieu en fin d'année. En ce qui concerne le danger qui peut peser sur le Maroc à cette occasion, il vient du fait que l'arrivée des Occidentaux pour fêter le Nouvel An pourrait inciter les terroristes à agir contre eux ou contre les Marocains dits « occidentalisés ». D'où la mobilisation des services de sécurité nationaux. Cela fait dix ans que l'état d'alerte est déclaré chez nous au mois de novembre, l'objectif affiché de nos services de sécurité étant le souci de vigilance, même en l'absence de menaces terroristes réelles. Ne voyez-vous pas que cette mobilisation est plutôt une réaction aux dernières menaces proférées par Ayman Al-Zawahiri ? En principe, il faut toujours prendre au sérieux les menaces d'Al Qaïda. Sauf que, sur ce point, cette dernière a changé de cible. Il y a une nouvelle stratégie adoptée par Al Qaïda : ne pas viser les civils, mais les services de sécurité, à savoir l'armée et la police. Depuis la création de l'organisation Al Qaïda au Maghreb islamique, en janvier 2007, on a remarqué que cette organisation a perpétré des attentats contre des cibles sécuritaires. Pour s'en rendre compte, il suffit de rappeler l'attentat spectaculaire qui a été perpétré le 11 avril 2007 contre le siège même du ministère algérien de l'Intérieur. Cela a été confirmé le 11 juillet dernier par l'attentat non moins spectaculaire contre la caserne militaire de Lakhdaria, toujours en Algérie, considérée comme le noyau dur de l'organisation Al Qaïda au Maghreb islamique. Qu'est-ce qui justifie, à votre avis, ce changement de stratégie terroriste ? Al Qaïda a beaucoup souffert de la propagande occidentale et des régimes qui ont réussi à ternir son image auprès de la population, en la présentant comme une organisation qui vise les civils. Pour Al Qaïda, le changement de stratégie est destiné à redorer son blason en démontrant que sa cible privilégiée est les services de sécurité. Il faut rappeler que le dirigeant de la branche maghrébine d'Al Qaïda au Maghreb, Moussaab Abou Daoud, a dernièrement mis en garde les jeunes Maghrébins contre le fait d'intégrer les rangs de l'armée, sous peine de devenir la cible privilégiée des attentats.