Me Abdellah Oualladi, président de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH), estime qu'il est temps de mettre fin aux tribunaux d'exception comme la Cour spéciale de justice (CSJ) dont l'existence est, selon lui, contradictoire avec les principes de l'Etat de droit. ALM : La cour spéciale de justice vient de se déclarer incompétente dans l'affaire de l'agence de la Banque Populaire à Paris. S'agit-il d'un signal annonçant la fin de ce tribunal d'exception ? Me Abdellah Oualladi : D'abord, il faut préciser que la décision de la Cour spéciale de justice a été prise suite à un débat juridique qui a toujours eu lieu devant ce tribunal à savoir les allégations d'incompétence présentées par la défense. Donc, si la CSJ s'est déclarée incompétente dans le cas de l'affaire de l'agence parisienne de la Banque Populaire, cela ne peut nullement être considéré comme le reflet de la politique gouvernementale en ce qui concerne la réforme de la justice en général ou de la suppression de ce tribunal en particulier. Car, il faut savoir que tant que cette cour existe, toutes les affaires qui entrent dans le champ de ses compétences doivent être présentées devant elle. Ainsi, même si on sait pertinemment qu'elle va disparaître prochainement, toutes les affaires qui présentent les conditions précisées par le dahir portant sa création doivent être présentées devant ce tribunal sous peine de tomber dans l'infraction du déni de justice. En cas de la suppression de cette cour, quel sera le sort des affaires qui sont en cours devant ce tribunal ? C'est le texte de loi portant la décision de sa suppression qui devra préciser tous les aspects juridiques parallèles qui résulteront de cette décision. Cette loi devra donc préciser les modalités de la transition vers le nouveau tribunal qui aura la compétence de statuer sur ce genre d'affaires et la procédure de transfert des dossiers en cours vers cette nouvelle instance. La transition sera donc définie par la loi. À l'OMDH, quelle est votre position sur cette cour ? Notre position au sein de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH) a toujours été celle de nous opposer avec force à tous les tribunaux d'exception. Ainsi, nous avons toujours milité pour la suppression de la Cour spéciale de justice (CSJ) et du Tribunal militaire. Pour nous, ces deux cours sont des tribunaux d'exception qui ne doivent pas exister dans un Etat de droit car il s'agit de cours qui appliquent des procédures exceptionnelles autres que celles appliquées devant les autres cours. Cela crée une situation d'iniquité puisque l'on applique deux procédures différentes pour des affaires similaires. D'ailleurs, la procédure appliquée devant la CSJ ne présente pas les garanties élémentaires à la préservation des droits de la défense. En plus, il faut savoir que les tribunaux d'exception sont généralement des cours proches du pouvoir exécutif ce qui menace leur impartialité puisque leurs verdicts sont toujours influencés par la politique adoptée par le gouvernement à l'égard des dossiers concernés. Comment voyez-vous l'alternative ? Juridiquement, il y a deux manières de mettre fin à cette cour d'exception. La première consiste à transférer tous les dossiers à des tribunaux ordinaires chacun selon sa spécificité.L'autre option serait de créer une Chambre spéciale auprès des Cours d'appel qui aura la compétence de statuer sur les affaires qui sont actuellement du ressort de la CSJ. Ces Chambres hériteront ainsi des dossiers en cours et traiteront les nouvelles affaires réunissant les mêmes conditions. Toutefois, la procédure sera la même que celle appliquée devant tous les tribunaux du pays. Mais, à mon avis, ces Chambres doivent réunir toutes les conditions humaines et techniques pour qu'elles puissent assumer efficacement leur mission. Parmi ces conditions, l'on retiendra la nécessité d'assurer une formation spéciale aux magistrats qui devront y siéger, au ministère public et au greffier. Car, il faut prendre en considération le fait que les dossiers présentés devant la CSJ sont généralement très complexes et nécessitent une compétence spéciale. Ces Chambres doivent aussi être dotées de moyens techniques qui leur permettraient d'assurer leur bon fonctionnement afin d'éviter de tomber dans les mêmes problèmes dont souffrent actuellement les tribunaux commerciaux.