Ahmed Khalil Boucetta estime que la coopération avec l'USFP a toujours porté ses fruits. Pour ce membre du comité exécutif de l'Istiqlal, le parti d'Abbas El Fassi a toujours été attaqué pour ce qu'il représente et ce qu'il défend. ALM : Le parti de l'Istiqlal, qui vient de tenir son congrès extraordinaire, est-il prêt pour affronter l'épreuve des urnes dans quelques mois ? Ahmed Khalil Boucetta : Bien sûr. Le parti de l'Istiqlal est prêt à toutes les épreuves. C'est un parti qui est rôdé et qui n'est nullement un parti de circonstance. On s'attend donc à une participation active aux différentes opérations électorales. Cette participation massive se ressentait en termes de couverture des candidatures et en termes de présence effective pendant la campagne électorale. Malgré la falsification qui a touché plusieurs scrutins jusqu'en 2002, nous avons tenu à maintenir ce rythme de participation et cette présence. Nous ne craignons pas les urnes. Un parti politique est d'ailleurs fait pour présenter un programme et des candidats, récolter les fruits d'un travail de proximité et d'encadrement et qui est un travail de longue haleine et d'une minutieuse organisation. Pour ces élections, nous nous engageons tout en étant fiers de présenter aux Marocains l'action réussie de la majorité gouvernementale dont nous faisons partie. Il y a eu des avancées dans les domaines de liberté, des droits de l'Homme et c'est un programme que nous défendrons lors de la campagne électorale. Notre bilan se fera sur la base d'un 5 sur 5, autrement dit, les années où nous avons pris part à la gestion des affaires depuis le premier gouvernement d'Alternance, les grands chantiers initiés par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et soutenus par l'actuelle majorité : Instance Equité et Réconciliation, IRCAM, le port Tanger-Méditerranée qui sera ouvert dans quelques mois, le réaménagement des grandes villes (Casablanca et Rabat notamment), les projets structurants et toute cette dynamique donnée à l'infrastructure, à la scolarisation, à l'habitat et aux logements sociaux. Tout ceci me fait dire que notre congrès extraordinaire, qui était un congrès de compatibilité et de mise en conformité de nos statuts internes avec les dispositions de la loi 36-04 relative aux partis politiques, est venu pour tracer la voie afin d'attaquer les échéances de 2007. Car, comme cela avait été souligné par nos leaders, nous n'avons pas eu à trop amender nos statuts puisque les nouvelles dispositions prévues dans le texte de la nouvelle loi sur les partis existaient déjà, pour la plupart, dans nos propres textes : commission nationale des comptes, procédures de choix des candidatures, quota pour les femmes dans les instances dirigeantes du parti... Ce congrès était plutôt une occasion de rassembler nos efforts et mieux nous préparer pour 2007 et préparer notre programme de politique économique et sociale tout en rappelant nos principes fondateurs.
Votre parti a fait l'objet de virulentes critiques et notamment après le scandale du 8 septembre 2006. Qu'en dites-vous ? Nous sommes un parti immunisé. Je pense qu'il faut mettre en relief les efforts qui ont été déployés, mais qui, malheureusement, n'ont pas abouti. Là, je fais allusion à la circulaire conjointe du ministère de la Justice et du ministère de l'Intérieur. Il y avait aussi une neutralité passive de la part de l'Administration territoriale et des personnes habilitées à suivre de près et à contrôler tous les dérapages lors du processus électoral. Je tiens également à préciser que le mode de scrutin indirect facilite ce genre de pratiques délictueuses et cela ne date pas d'hier ou du dernier scrutin partiel. La Chambre des représentants, avant l'instauration du bicaméralisme, prévoyait un tiers de ses membres qui n'étaient pas élus de manière directe. Là, avec la deuxième Chambre, nous sommes passés à une Chambre à part entière élue de la même manière. Pour revenir au 8 septembre 2006, je pense qu'il aurait fallu mettre un terme à ces pratiques avant et pendant la campagne électorale. Il ne faut pas oublier non plus que les critiques virulentes, auxquelles vous faites référence, ont visé un parti qui a été classé premier pour ce scrutin. Ceci est la corrélation de la position du parti avec les résultats des précédentes élections communales et le nombre de sièges obtenus par le Parti de l'Istiqlal. Partagez-vous les déclarations de plusieurs responsables de l'Istiqlal affirmant que ce dernier fait l'objet d'un complot pour réduire sa présence et son efficacité ? Maintenez-vous toujours que les procédures judiciaires étaient sélectives ? Il y a deux niveaux d'approche pour répondre à cette question. Sur le plan juridique, on peut affirmer, mais non pas démontrer, qu'il y a eu une certaine sélectivité dans les poursuites engagées après le 8 septembre 2006. D'un autre côté, on ne peut que faire des réserves sur les pratiques judiciaires et partager les souhaits de l'amélioration du rôle du pouvoir de la Justice et de son indépendance. Le parti de l'Istiqlal a d'ailleurs toujours défendu ces principes et continuera à le faire parce que la justice est l'un des principaux piliers du régime et est également un garant pour le développement économique et social de notre pays. Il faut signaler aussi que, pour le parti de l'Istiqlal, il a toujours subi ce genre d'attaques. Je déplore en plus que, pendant longtemps au Maroc, on a essayé d'amenuiser et d'amoindrir le rôle des partis politiques et l'impact de leur influence sur la population. Nous en subissons les conséquences encore aujourd'hui. Mais, sans partis forts, représentatifs, forts par leur représentativité et en tant que force de proposition, il ne peut y avoir de développement de la démocratie. La société civile doit assumer son rôle et les partis politiques le leur. Évitons les amalgames à ce sujet ! Entre votre parti et l'USFP, cela n'a toujours été qu'un fleuve tranquille. Quelle pourrait, d'après vous, être la forme d'une collaboration entre ces deux formations à l'occasion des élections et après celles-ci ? Les rapports avec nos frères de l'USFP sont sincères, profonds, mûrement réfléchis et prometteurs. Les frictions qui naissent de nos entreprises communes doivent être analysées afin de les éviter à l'avenir. Est-il besoin d'ailleurs de rappeler un fait indiscutable dans l'histoire contemporaine du Maroc: quand nous sommes unis, USFP et Istiqlal, et que nous travaillons ensemble, de grandes avancées voient le jour dans notre pays en termes de démocratie, de libertés publiques et, depuis le gouvernement d'Alternance, en termes de développement économique et social. Pour pérenniser cette entente et optimiser ces résultats, il y a lieu de définir et rendre public un pacte d'honneur qui déterminerait les règles du jeu, les devoirs et les obligations de chacun de nos deux partis. De grands dossiers, faut-il le rappeler, ont été menés à bien grâce à une action commune des deux formations. C'est le cas pour les propositions conjointes faites au sujet du projet de loi sur les partis politiques. Mais également pour le mémorandum des partis de la Koutla au sujet du projet d'autonomie au Sahara remis à Sa Majesté le Roi Mohammed VI et nous avons, en outre, mis à jour le Pacte de la Koutla démocratique. Actuellement, nous travaillons activement, au sein d'une commission spécialisée, sur le programme électoral pour les élections législatives de 2007. Une autre commission conjointe travaille aussi sur un projet de réformes constitutionnelles. Des candidatures uniques seraient-elles à l'ordre du jour ? A mon avis, le mode de scrutin en vigueur rend difficile de présenter des candidatures uniques parce que chacun d'entre nous voudra être placé en tête de liste. Par contre, un travail de réflexion doit être mené concernant les circonscriptions où ni l'Istiqlal ni l'USFP n'ont obtenu de sièges en 2002. On a largement évoqué une possible alliance post-électorale entre le PI et le PJD. Un tel scénario est-il possible ? En politique, tout est possible et, au Maroc en particulier, tout est possible ! Concernant les alliances post-électorales, elles sont dues, à mon avis, aux dispositions constitutionnelles et notamment l'article 24 qui donne à Sa Majesté le Roi la prérogative de désigner un Premier ministre qui doit, en plus, avoir le soutien d'une majorité parlementaire. Pour moi, il est souhaitable de procéder à des alliances pré-électorales pour donner la possibilité aux électeurs de choisir leur camp en connaissance de cause. Au parti de l'Istiqlal, nous refusons catégoriquement tout type d'alliances avec tout parti n'adhérant pas aux principes fondateurs de la Nation : Islam, Monarchie et intégrité territoriale du Maroc, c'est-à-dire les laïcs et les pro-séparatistes en premier lieu. Concernant nos amis du PJD, je pense que nos idéaux politiques ne sont pas contradictoires. A l'Istiqlal, nul ne peut remettre en cause notre rôle précurseur et la continuité dans la défense des valeurs de l'Islam. Nous avons toujours préconisé que l'Islam soit la référence de toute action législative. Pour résumer, je dirai que le plus important est que le Premier ministre puisse regrouper et fédérer une majorité parlementaire qui lui assurera la mise en application des programmes qui ont eu l'aval de l'électorat.
Pour vous, n'est-il pas encore temps d'affirmer que le camp de l'Istiqlal est plutôt celui des "conservateurs modérés" et d'arrêter de vous attacher à des référentiels de gauche dans plusieurs aspects ? Tout au long de sa longue et riche histoire, le parti de l'Istiqlal a été qualifié par ses détracteurs de tous les qualificatifs de "rétrograde", d'"archaïque" et de "conservateur" alors que son réel atout, c'est la continuité dans le choix et la défense de ses valeurs et de ses idéaux : Monarchie constitutionnelle démocratique et sociale et égalitarisme. Pour moi, parler de gauche et de droite au Maroc n'est pas de mise. Dans plusieurs pays démocratiques, les libéraux et les socialistes font une approche nouvelle abandonnant les clivages et prônant une économie de marché devant assurer un développement économique, social et culturel. Et, dans ces pays, l'Etat joue un rôle d'incitateur et de régulateur. Au parti de l'Istiqlal, nous maintenons notre cap en continuant à défendre nos valeurs religieuses et linguistiques et en attirant l'attention sur les dangers qu'implique l'affaiblissement de ces valeurs. Nous continuons à revendiquer la nécessité de l'application d'une bonne gouvernance dans la gestion de la chose publique et la répression des fraudes à tous les niveaux et l'éradication de la corruption afin d'être à la hauteur des défis qui attendent le Maroc en termes de mondialisation et de globalisation.
Pour votre parti, on parle beaucoup du poids des sages (Boucetta, Kadiri...) dans ce qui touche aux grandes orientations. N'y a-t-il pas moyen de s'en détacher ? Je pense que le poids des sages en ce qui concerne l'Istiqlal (les membres du Conseil de la présidence et nos aînés du comité exécutif), de par leurs sacrifices pour l'Indépendance, l'intégrité territoriale et la démocratisation du pays, est une chose normale. Ce poids auquel vous faites référence est d'abord une promesse de continuité et une obligation d'adaptation à des pratiques partisanes nouvelles : encadrement de la population, engagement inconditionnel pour la chose publique, compétence, audace et intégrité. Pourquoi se détacher alors des figures qui symbolisent ces valeurs ?! Pour finir, comment envisagez-vous la scène politique après les élections de 2007 ? Pour moi, la période pré-électorale est non moins importante. Il faut que tous les partis politiques travaillent à assumer leur rôle constitutionnel d'encadrement et de représentation de la population. Il faut, par la suite, faire des consultations de 2007 une avancée dans le processus de démocratisation de notre pays en mettant fin à la "transition démocratique" et en mettant les jalons d'une nouvelle ère politique.