L'universitaire Bernabé Lopez Garcia a publié le 17 décembre une tribune libre à El Pais dans laquelle il présente la proposition d'autonomie dans sa profondeur historique. Un discours nouveau en Espagne où prévaut la pensée unique. Voici la traduction de cet article. Trente ans après sa sortie du Sahara Occidental, l'Espagne n'a pas dépassé le complexe d'abandon des populations qui étaient, un jour, nos concitoyens, ou mieux encore : nos co-sujets, parce que dans l'Espagne franquiste, il n'existait pas de citoyens. Et si on l'oublie, d'autres viennent nous le rappeler comme l'a fait Bouteflika à Zapatero, ces derniers jours. Confus par la frustration d'avoir enterré un dictateur, mort avec des pleins pouvoirs, le peuple espagnol s'est projeté dans ce jeune peuple, qui se montrait, debout, avec les armes à la main et combattant pour son indépendance. Un jour, il faudra expliquer quels sont les facteurs qui ont motivé le changement de position de partis comme le PCE qui, durant les années soixante-dix, sont passés du soutien des revendications traditionnelles des forces de l'opposition marocaine - communistes du PCM inclus - de réintégration du Sahara au Maroc après le retrait de nos troupes, à la reconnaissance sans ambages d'un mouvement nationaliste émergent, le front Polisario. Deux livres récents rappellent sa naissance durant les dernières années de la colonisation, celui de Claudia Barona (Fils du nuage. Le Sahara espagnol de 1958 à la débâcle) et celui de Angela Hernandez (Guerre de drapeaux dans le Sahara). Mais l'apparition d'un parti nationaliste ne fait pas de lui, du jour au lendemain, le "représentant unique et légitime" de tout un peuple. Comme ne pouvait pas l'être, non plus, le Parti de l'Unité nationale créé par les autorités coloniales. Et pourtant, nos forces de gauche, qui agissaient encore dans la clandestinité, avaient, quasi immédiatement, misé sur ce front. Qui expliquera si ce qui a plaidé en faveur de cette position était le fait qu'il était soutenu par une Algérie en qui ces gauches croyaient fortement et qui recevait avec des honneurs de chefs d'État les représentants du comité démocratique qui venait à peine d'être créé ? Personne ne peut nier la maladresse de la solution que le régime franquiste a donnée à la question du Sahara en 1975, ni l'occupation violente que le Maroc a menée à bien en jetant par terre des arguments et des droits pour l'annexion qu'il aurait pu mener à travers une négociation dialoguée avec les populations colonisées. Un haut responsable de la diplomatie marocaine m'a avoué, il y a quelques années, le fait que, pour commencer à arranger les choses, le Maroc devrait reconnaître l'erreur et l'horreur de la manière avec laquelle il est entré dans le territoire. Une méthode qui a scindé la population en deux et a accéléré la fuite de milliers de réfugiés. Il faut une Instance Équité et Réconciliation pour le Sahara, afin de dire, non seulement, qui a disparu ou a été torturé – ce qui a déjà commencé à être fait -, mais de reconnaître aussi la personnalité d'un peuple et son droit à l'autogouvernement. Mais l'autogouvernement ne veut pas dire nécessairement indépendance. Et c'est là où le Conseil Royal Consultatif pour les Affaires du Sahara (CORCAS), en dépit des conditions peu démocratiques de sa création et de sa nature archaïsante, devrait donner naissance à un projet d'autogouvernement qui, même sous souveraineté marocaine, garantirait le retour de tous les Sahraouis, leur droit à un logement digne, à la liberté de désignation de leurs dirigeants, à la disposition des richesses naturelles et, évidemment, à la liberté de tous pour défendre démocratiquement leurs projets politiques, y compris l'indépendance. À Zapatero, on a exigé (réprimandé, certains ont exagéré) à Alger de ne pas être indifférent quant au sort des Sahraouis. Mais nous oublions fréquemment que, depuis 1976, nous avons créé en Espagne deux catégories de Sahraouis. Les nôtres et les autres. Rares sont les communes espagnoles qui n'ont pas un programme de coopération avec les réfugiés sahraouis à Tindouf. Certes, la solidarité avec les nôtres, qui ont réussi à survivre grâce à ces soutiens, est une coutume saine, mais elle ne les a pas aidés à construire un futur pour tous les Sahraouis. Nous oublions que les Sahraouis ne se trouvent pas tous dans les camps de Tindouf. Au moins les deux tiers sont restés dans les territoires que le Maroc a occupés. Ce qui les a condamnés - pendant 30 ans ! – à devenir "les grands oubliés". Sous le prétexte de ne pas valider cette occupation, année après année, on a été écarté de la coopération au développement toute cette population, laissée à la merci d'investissements aléatoires du Maroc et sans pouvoir accéder à des fonds qui lui permettraient de développer une société civile en rapport avec tous les courants de pensée, en transformant ces habitants en Sahraouis de seconde catégorie, doublement isolés et marginalisés. On n'a même pas travaillé pour maintenir l'enseignement de notre langue. Avec la solidarité discriminatoire orientée vers l'une des parties, nous avons renforcé le dogmatisme du parti unique, sans soutenir d'autres visions qui tendraient des ponts devant la réconciliation. En agissant ainsi, on a empêché, surtout, la "Sahraouisation" de la solution. Parce que, s'il est important que Polisariens et Marocains examinent une sortie possible, il est plus urgent que les Sahraouis des deux côtés examinent et mettent au point une solution possible. Le référendum serait moins compliqué après avoir réussi cet accord. C'est à cette réconciliation entre Sahraouis que devrait penser Zapatero, pour régler la dette historique. • Traduit de l'espagnol par Omar Dahbi mailto:[email protected]