Francisco Sanchez Ruano, journaliste-écrivain, est l'auteur de plusieurs livres sur le passé commun entre l'Espagne et le Maroc : guerre civile, batailles du Rif, dictature de Franco… Dans ses livres, il porte un regard d'historien et de témoin sur deux Royaumes liés par une forte communauté d'histoire et d'avenir. ALM : Dans votre livre « Islam y guerra civil espanola. Moros con Franco y la Republica », vous vous intéressez, particulièrement, au passé militaire du maréchal Mohamed Mezian. Que représente pour vous cette personnalité ? Francisco Sanchez Ruano : Mohamed Mezian est le premier Marocain à avoir étudié à l'Académie militaire de Toledo. Dans mon livre, j'ai essayé d'expliquer l'ascension de ce Marocain originaire du Rif dans la hiérarchie militaire espagnole. Au terme de ses études à Tolède, Mohamed Mezian a fini comme lieutenant général et il sera deux fois capitaine général de régions militaires dans les Iles Canaries et en Galice. Dans mon livre, je mets en garde, également, contre le risque de confondre entre le père du maréchal Mezian qui luttait pour l'Espagne et un autre Mezian, un leader du Rif, qui se battait contre l'armée espagnole avant l'arrivée même d'Abdelkrim Khattabi. Ce dernier Mezian a été tué dans une bataille du Rif. Le maréchal Mohamed Mezian est venu sur les devants de la scène bien plus tard. Que pensez-vous de la polémique provoquée, récemment, en Espagne suite à l'inauguration, à Nador, du Musée du maréchal Mezian ? Le Parlement espagnol avait condamné, en 2002, la dictature de Franco lorsque le Parti populaire était au gouvernement et disposait de la majorité au Parlement. La condamnation de Franco concernait, implicitement, tous ceux qui avaient collaboré avec l'ex-dictateur. Le maréchal Mohamed Mezian a été accusé d'avoir collaboré avec Franco. La présence de l'ambassadeur espagnol au Maroc à l'inauguration à Nador dudit musée a été critiquée, à Madrid, comme une reconnaissance officielle pour l'ancien collaborateur du régime de Franco. Pour ma part, je me demande combien il y a d'anciens collaborateurs directs ou indirects de Franco qui continuent encore de collaborer avec le Parti populaire (PP) ou les socialistes (PSOE). Comment qualifiez-vous votre livre ? Un livre d'histoire ? Un livre-témoignage ? Nous sommes plusieurs en Espagne à porter encore et toujours les stigmates de la guerre civile et à souffrir des séquelles douloureuses du régime fasciste de Franco. Mon livre, où je rapporte des faits avérés, se veut également un témoignage sur cette époque sombre de l'histoire de l'Espagne. J'ai été moi-même victime de cette époque. Né à Valence en 1937, j'ai été condamné à 28 ans de prison par un conseil de guerre, alors que j'étais étudiant en sciences politiques et économiques à Madrid. J'avais 24 ans quand j'ai été incarcéré dans une prison de Bourgos (nord de l'Espagne). J'y ai passé 10 ans et demi derrière les barreaux. Maintenant, j'attends une réparation judiciaire de la part de l'Etat espagnol. Mon avocat a saisi le Tribunal des droits de l'Homme relevant du Conseil de l'Europe, à Strasbourg. Si je n'obtiens pas réparation, je vais m'expatrier. Au-delà du témoignage sur mon expérience carcérale, il y a d'autres faits que je rapporte. Comme le titre de mon livre l'indique, je démontre que le rôle joué par les Afro-arabes, particulièrement les Marocains, dans la guerre civile, était très important. Les généraux des troupes marocaines ont toujours été les mieux payés, ils étaient à l'avant-garde, alors que les troupes espagnoles étaient derrière. Une fois que Franco a gagné la guerre civile, il a organisé un Etat fasciste avec un parti unique qui s'appelait la «Phalange». Franco était chef de l'armée, chef de l'Etat, chef du gouvernement, chef du parti, et il avait beaucoup d'influence sur l'église catholique. Ce livre porte sur la guerre civile, qui a commencé en 1936 et qui s'est terminée en 1940. Il s'intéresse également au règne du dictateur Franco. Pourriez-vous nous parler du débarquement de l'armée espagnole à Tanger ? En 1940, il y a eu un rendez-vous entre Franco et Hitler. Lors de leurs entretiens, Franco avait dit à Hitler qu'il entrerait en guerre à ses côtés s'il lui donnait tout le Maroc français, en plus d'Oran, en Algérie. Hitler avait refusé. C'est pour cette raison que Franco n'est pas entré en guerre aux côtés de l'Allemagne nazie. Ceci dit, Franco a fini par occuper Tanger en 1940. L'un des vétérans espagnols de la guerre du Rif fut le capitaine général Muñoz Grandes. Quel rôle a joué ce capitaine ? C'est l'objet de mon livre à paraître au mois d'octobre prochain sous le titre «Capitaine général Muñoz Grandes : Numéro 2 de Franco», sous-titré «Des sables du Maroc aux neiges de la Russie». Dans ce livre, je retrace le parcours de ce militaire depuis qu'il officiait comme lieutenant dans l'armée, jusqu'à sa participation à la guerre contre la Russie. Au Maroc, il a lutté comme chef d'une «harka» contre Abdelkrim Khattabi. Malgré tout, ce responsable militaire avait beaucoup de sympathie pour les Marocains. En 1966, à Madrid, il a eu des entretiens secrets avec Allal Al Fassi. Lors de ces entretiens, il a dit au leader nationaliste marocain qu'il était d'accord pour des négociations sur le Sahara. En 1967, Muñoz Grandes écrivit une lettre à Mohamed Haj Baraka, un dirigeant nationaliste de Tétouan, l'informant qu'il avait convaincu Franco d'ouvrir des négociations sur l'avenir du Sahara espagnol. Jusqu'à présent, personne au Maroc ne sait où se trouve cette lettre. C'est pourtant un document très précieux. Vous avez, également, écrit un livre sur l'expulsion des Mauresques de l'Espagne. Que voulez-vous montrer par ce livre ? En 1610, plus de 300.000 Mauresques avaient été chassés d'Espagne. La majorité des expulsés étaient des descendants des premiers arabo-berbères qui avaient envahi l'Espagne en 711 sous la houlette de Tarek Ibn Zyad, alors gouverneur de Tanger. Après neuf siècles, les Mauresques étaient devenus plus ou moins Espagnols. Un groupe de ces Mauresques appelé «Hornachos» avait construit la médina de Rabat, organisant au sein de la casbah une république «corsaire». Il y a eu à peu près 6000 captifs chrétiens dans cette casbah dite des andalous. C'est sur cet aspect de l'histoire que porte mon livre à paraître, «Un peuple dans deux villes : Hornachos et Rabat». Au-delà de l'écriture, avez-vous d'autres projets ? Comme coordinateur entre l'Espagne et le Maroc, je prépare actuellement un congrès international pour commémorer le 4e centenaire de l'expulsion des Mauresques de l'Espagne. Ce congrès, prévu en avril 2009, siègera à Hornachos et à Rabat.