La pirogue qui fait l'aller-retour entre les côtes de Dakar et l'île de Gorée ne désemplit pas... Sous une ambiance de tamtam et de chants wolof le trajet est agréable et joyeux. Mais dès l'arrivée sur la terre ferme des 28 hectares qui ont immortalisé le théâtre du plus grand acte d'esclavage dans le monde, le regard grave du guide accompagné de ces mots fait chavirer les cœurs sensibles.... La marche vers le cœur de l'île s'accompagnera non seulement de ces paroles mais aussi de celles des marchands qui ne vivent que grâce aux visiteurs de passage. Les faits sont là. Les habitants demeurent très humbles et dignes. Très polies, les jeunes femmes proposeront leurs créations avec un grand sourire. Car elles y habitent et veulent oublier ces trois siècles de martyr qui resteront à jamais gravés dans les antres de l'île... Le récit du guide est poignant et les paroles ne suffiraient pas à décrire les cellules minuscules qui ont abrité hommes, femmes, enfants... chacun dans une case... chacun avec un numéro... L'histoire des 15 à 20 millions d'esclaves a fait, aujourd'hui, le tour de la terre et des personnalités politiques ont fait le déplacement pour acter ce qui s'est passé... Toutes les cellules donnant vers une seule ouverture, celle du dernier voyage. Et même le défunt pape Jean Paul II y a versé des larmes... Personne n'en sort insensible... Le mal a été fait. Les esprits en témoignent. Et les habitants de l'île porteront ce poids au plus profond d'eux-mêmes sans peut-être le savoir. L'île a été, en effet, entièrement libérée et une seule maison des esclaves témoigne réellement du passé... Arpenter les ruelles est si agréable sous un ciel dégagé et une température soutenable en ce mois de mai... Un baobab planté au milieu des maisons se rappellera certainement les allers et venues sur l'île qui aura décimé bien des familles à l'époque. Aujourd'hui, l'arbre servira à faire de l'ombre à de paisibles habitants sans amertume mais sans omission non plus d'une époque à jamais gravée dans les murs ou les cœurs. Un peu plus loin, des artistes ont trouvé leur voie et leur inspiration. Leur technique est époustouflante. Les principaux matériaux étant les différents sables du Sénégal et de ces pays limitrophes. Les cercles effectués avec ces matières nobles laisseront devant nos yeux apparaître, comme par magie, des images envoûtantes : portraits de femmes, écritures religieuses, paysages très symboliques... Tout y est, tout enivre faisant oublier, quelques secondes, les terribles sensations, lors de la visite de la maison des esclaves... D'ailleurs, cette technique artistique avait été introduite à l'Ecole des Beaux Arts de Dakar par feu Léopold Sédar Senghor, ancien président de la République du Sénégal. Aujourd'hui, sur cette terre sainte, de telles œuvres peuvent être acquises à seulement 500 MAD... Le temps semble s'être arrêté. Sous un ciel azur et au loin une mer calme et claire – malgré une pollution menaçante par endroit nous arpentons les marches pour arriver au sommet de l'île... et là surgissant de nulle part, l'édifice représentant le mémorial de Gorée de Castel inauguré en 1999 par l'ancien président Abdou Diouf s'offrait à nos yeux. Perchée au plus haut niveau du site, cette construction est le symbole même de la traite des personnes de couleur entre les 16ème et 19ème siècles... Et c'est ainsi que cette tragédie fait partie au même titre que la Shoah des plus grands traumatismes que l'humanité ait jamais connus… Portés par un sentiment de paix et de sérénité, certainement confortés par une réconciliation des esprits à travers le temps et les siècles, notre descente fut légère et rapide... Le bateau de la traversée n'attendait que nous, bondé et prêt à s'éloigner de cette terre sainte, jonchée à quelques kilomètres à peine de Dakar et qui attirera encore et encore nombre de visiteurs tant la symbolique est grande. A voir pour y croire...