Victime de la campagne d'assainissement de 1996, Abdelaziz Tahiri souhaite que l'Etat, qui a reconnu l'avoir injustement mis en prison, prenne enfin ses responsabilités. ALM : Vous êtes l'une des multiples victimes de la fameuse campagne d'assainissement de 1996. Que vous a-t-on reproché, exactement ? Abdelaziz Tahiri : Avant cette maudite campagne d'assainissement, qui n'en était pas une bien évidemment, j'étais l'un des plus grands exportateurs en confection du pays, puisque mon groupe, qui comptait quatre sociétés toutes tournées vers l'export , réalisait un chiffre d'affaires atteignant les 80 millions de DH. Au cours des années 1980, j'ai été confronté à des différends avec la douane au sujet du taux d'apurement qui ne dépassait guère les 12% pour les marchandises en admission temporaire. Après une série de tractations et d'expertises, l'administration des douanes a reconnu officiellement que ce taux d'apurement pour le jean devait être de 21,65 %. Mais sans effet rétroactif. Ce qui est aberrant car l'erreur était imputable à la douane. En tout cas, les architectes de la campagne d'assainissement ont profité de cette affaire pour me jeter en prison, alors que nous étions 3.000 sociétés dans cette situation. Pourquoi vous, alors ? Lors des interrogatoires, on m'a dit clairement que l'on avait rien contre moi. Ce que les enquêteurs voulaient c'était la peau de Mohamed Bentaleb (NDLR, membre du RNI), qui n'était plus mon associé à l'époque et que l'ancien ministre de l'Intérieur, Driss Basri, voulait enfoncer à tout prix. On m'a même proposé de témoigner contre lui, pour être libre. Mais j'ai catégoriquement refusé parce qu'il n'y avait rien à dévoiler. Est-ce que vous avez fait de la prison ? J'ai été condamné, en première instance, à trois ans fermes et à une amende de 550 million de DH. En appel, la condamnation a été confirmée et l'amende a été ramenée à 90 millions de DH. Sans revenir sur les conditions dans lesquelles le procès s'est déroulé, en violation totale des droits de la défense, je tiens uniquement à préciser que j'ai bénéficié, après quinze mois de détention, d'une grâce royale totale. Que s'est-il passé après votre libération ? A ma libération, les vrais problèmes ont commencé. Financièrement, j'étais ruiné, quasiment dans la rue. Mes usines sont fermées. Mon domicile est hypothéqué, je risque d'être expulsé car la banque veut le vendre aux enchères publiques. J'ai eu des procès pour chèques sans provisions, car ma banque qui me facturait 5 millions DH d'agios annuellement pendant 25 ans, a refusé du jour au lendemain d'honorer ces chèques. Ma santé s'est considérablement dégradée lors de mon incarcération. J'étais âgé de 60 ans environ, j'ai eu un glaucome que je n'ai pas pu traiter à temps. Il s'est intensifié et aujourd'hui j'ai perdu 50 % de mon acuité visuelle car mes nerfs optiques sont très altérés. Maintenant je suis au chômage, j'ai tout perdu. Mes enfants que j'avais préparés pour assurer ma relève ont dû immigrer pour gagner leur vie. Aujourd'hui, que demandez-vous au juste ? Le plus important à signaler c'est que j'ai bénéficié d'une grâce totale, qui me lave de toutes les accusations pour lesquelles j'ai été injustement emprisonné. A partir de là, je souhaite que cette grâce totale se traduise en actes concrets. Si on me donne une deuxième chance, je suis prêt à reprendre mon activité industrielle. Mais qu'on soit clair, je ne veux toucher aucun centime de personne. Je ne demande aucune faveur. Mes sociétés ont, certes, cessé de payer les traites de la banque, mais cet arrêt est imputable à l'Etat qui a reconnu m'avoir injustement jeté en prison. J'estime être en droit de demander réparation pour les préjudices que j'ai subis. Quelles sont les portes auxquelles vous avez frappées jusqu'à présent ? Diwane Al Madhalim assure qu'il n'intervient pas dans les affaires qui ont été jugées par les tribunaux. Et l'Instance Equité et Réconciliation, bien que nous soyons des victimes d'agissements de l'Etat, refuse de donner suite à nos doléances. Je veux simplement être réhabilité.