Ayant été victime d'abus sexuels de la part de son cousin dès son sixième printemps et durant une dizaine d'années, un jeune homme décide de porter l'affaire devant la justice, vingt ans plus tard. Mercredi 25 mai, 18h45. Une vingtaine de personnes, hommes et femmes, occupaient les sièges de la salle n° 2 de la Cour d'appel de Casablanca où les affaires criminelles s'examinent en premier degré. Le président de la Cour a reporté les dossiers restants et les policiers qui veillaient sur l'ordre ont conduit les mis en cause vers une petite porte située à l'intérieur de la salle d'audience. Objectif : les évacuer ensuite vers la prison d'Oukacha. Après quoi, le président de la Cour a reporté quelques dossiers, qui devaient être mis en délibéré, à l'audience du mercredi prochain, 1er juin. Aussitôt, un jeune homme, N., âgé de vingt-six ans, prothésiste dentaire, portant un pantalon en bleu jean's et un t-shirt noir, s'est révolté en quittant la salle d'audience. « Pourquoi ce report ? Il ne reste que le jugement... Pourquoi la Cour n'a pas mis l'affaire en délibéré ? », s'est-il interrogé en descendant les escaliers menant au rez-de-chaussée. Ses parents, quinquagénaires, traînaient leurs pas derrière lui sans savoir quoi lui dire. N a commencé à perdre ses nerfs quand il est sorti du siège de la Cour d'appel et ses regards ont croisé ceux d'un autre jeune homme, Adel, quadragénaire, policier de son état, qui était accompagné d'un quinquagénaire. N. a couru vers lui en l'insultant et en le menaçant de le tuer. Ses parents l'ont rejoint pour le calmer. En vain. Son père l'a tenu par le bras droit, tentant de l'empêcher à attaquer Adel qui se moquait de lui. Un policier qui veillait sur l'ordre de la circulation et d'autres personnes qui étaient sur les lieux sont intervenus. Et chacun des deux protagonistes a repris son chemin. Seulement, N., qui a accompagné ses parents jusqu'à la voiture s'est révolté une fois encore contre la décision de la Cour relative au report du dossier à huitaine. « Pourquoi le reporte-t-il alors qu'il devait le mettre en délibéré? », crie-t-il en allumant une cigarette. Ses parents lui supplient de monter avec eux en voiture. En vain. Mme Najia Adib, la secrétaire générale de l'Association « Touche pas à mon enfant », intervient à son tour, tentant de le calmer et de le convaincre de monter à la voiture. Elle y arrivera finalement. Mais pourquoi toute cette révolte de N.? Pourquoi n'a-t-il pu tenir ses nerfs quand son regard a croisé celui d'Adel ? Pourquoi veut-il que la cour tranche son affaire le plus tôt possible? Et que faisait là la secrétaire de «Touche pas à mon enfant » qui sensibilise la société contre la pédophilie ? La réponse est choquante. Il s'agit bel et bien d'une affaire de pédophilie. Comment et pourquoi cette affaire est de pédophilie, alors que N. à 26 ans et Adel à la quarantaine ? Inconcevable, mais c'est la réalité incontestable. En effet, l'affaire a commencé il y a une vingtaine d'années quand N. avait six ans et Adel avait 20. D'abord, ils sont issus de la même famille. Bref, ils sont des cousins. Et Adel se souvient du jour de la naissance de N. Cette relation familiale encourageait Adel à rendre le plus souvent visite à sa tante, mère de N. Au fil des années, N. est arrivé à son sixième printemps. Adel a commencé à le harceler, à l'encourager à céder à ses désirs sexuels. Enfin, il a passé à l'action. Depuis, il n'a cessé d'abuser de lui, soit chez sa tante soit chez leurs grands-parents. De fil en aiguille, la conscience de l'enfant s'est éveillée, le poussant à manifester une révolte contre son cousin le policier. Sans vergogne, Adel a continué à abuser de lui sous la menace. Il lui menottait les mains et le pointait de son revolver pour l'obliger à se plier. La domestique les a surpris à plusieurs fois. Jamais elle n'est arrivée à confier le secret à ses employeurs. Elle craignait être torturée par le policier. "Je l'ai surpris à mainte reprise, mais j'ai gardé le silence. Car j'ai pensé que personne ne va me croire", a-t-elle attesté devant la Cour après avoir prêté serment. À ses dix-sept printemps, N ne veut plus céder aux désirs de Adel. Traumatisé, N a commencé à voyager. Il avait l'intention de chasser les images ignominieuses qui hantaient son esprit le jour comme la nuit. En Europe, il l se confiait à des gens, pour oublier tout ce qui lui est arrivé. Mais en vain. En avril 2003, il quitte la France pour s'installer en Grèce. Se trouvant à Athènes, il fait la connaissance d'une jeune fille. Le courant est passé entre eux en un clin d'œil et N. l'a invitée à son lit. Seulement, il a découvert être impuissant sexuellement. Traumatisé, il a perdu conscience. Évacué vers l'hôpital, il a été soumis à un suivi psychiatrique. Avisés, ses parents l'ont rejoint pour le conduire à Casablanca après avoir payer 50 mille dirhams des frais d'hospitalisation. Une plainte est déposée auprès de la police et une enquête a été lancée. Adel est arrêté. Il a clamé son innocence. Dix mois de détention préventive pour bénéficier enfin de la liberté provisoire. Mais N. a continué à l'accuser d'avoir abusé de lui durant dix ans. L'affaire a été mise entre les mains de la Chambre criminelle. N. a relaté lors d'une audience à huis clos tout ce qu'il avait enduré durant une dizaine d'années. Il a expliqué à la Cour que son cousin le policier, le droguait parfois. Accusation que Adel a rejetée en bloc. Pourquoi N. l'a-t-il accusé et n'a pas mis une autre personne en cause ? Adel n'avait pas de réponse. Et N. souffre encore et attend impatiemment la date du mercredi 1er juin.