L'accord alternatif de paix au Proche-Orient conclu à Genève et qui devait être signé hier dans la capitale helvétique, rencontre une réelle sympathie dans l'opinion publique et un soutien international plus fort que prévu. Ainsi, l'accord perce peu à peu aux Etats-Unis : Tikkun: c'est la fragile tête de pont de l'«accord de Genève»à Washington. En hébreu, Tikkun veut dire transformer, guérir, réparer. C'est aussi le nom d'une revue et d'une communauté créées par le rabbin Michael Lerner, infatigable voix de la gauche modérée dans le judaïsme américain. En lançant Tikkun au milieu des années 90, Lerner avait l'ambition téméraire de créer un contrepoids au puissant lobby qui défend aux Etats-Unis les positions des extrémistes israéliens et des colons. A peine l'Initiative de Genève était-elle connue que Tikkun lançait dans le pays une campagne d'explication, texte à l'appui, et une pétition nationale de soutien. Après plusieurs mois de stagnation, le processus de paix revient sur le devant de la scène. De hauts responsables israéliens et palestiniens, ainsi qu'une multitude de personnalités mondiales de premier plan se trouvaient hier à Genève pour parapher ou apporter un soutien agissant à l'initiative de paix qui porte le nom de la célèbre cité suisse. L'initiative de Genève, lancée par des hommes politiques de la gauche israélienne et par des responsables de l'Autorité palestinienne, a abouti à la rédaction d'un pacte symbolique pour relancer les négociations de paix. Les termes de cet accord s'inspirent largement des résultats auxquels avaient abouti les négociations qui se sont déroulées à Camp David et à Taba fin 2000. La communauté juive et l'intelligentsia américaine sont secouées par le débat venant du Proche-Orient sur la constitution d'un Etat binational comme réponse au conflit israélo-palestinien. Cette thèse a soulevé une tempête aux states. Elle est connue en Europe. Puisque la formule des deux Etats vivant côte à côte (Israël et Palestine) est minée par la colonisation qui continue, la barrière de sécurité qui projette un Etat palestinien non viable, et le terrorisme, autant imposer une solution intégralement démocratique: un seul pays, des citoyens égaux; et donc fin d'Israël en tant qu'Etat juif. Ce fut le projet de l'OLP, c'est encore celui d'organisations et de personnalités éprises de paix et de coexistence pacifique. Le problème, pour le camp de la paix et en particulier pour Tikkun, c'est que l'hypothèse binationale gagne du terrain dans ses rangs. Le soutien total de Michael Lerner et de ses amis à l'«accord de Genève» est donc une tentative pour consolider le compromis fondé sur la séparation, auquel ils ont toujours cru. Le temps presse et il devient vital pour Israël de prendre une décision pour sortir du bourbier diplomatique dans lequel il s'est empêtré, relèvent de nombreux observateurs, à Tel-Aviv même. Cette réalité et ressentie jusqu'aux rangs même du Likoud d'Ariel Sharon. L'Administration Bush montre aussi qu'elle est consciente de l'urgence de la situation. L'hypersensibilité de l'Administration américaine à l'impasse proche-orientale a aussi des effets dans le Parti démocrate. Howard Dean, le favori de l'opposition à la présidentielle de novembre, considère que les Etats-Unis devraient adopter une attitude plus neutre, autrement plus équilibrée, entre Israéliens et Palestiniens. L'ancien gouverneur du Vermont s'est attiré une sévère remontrance de la direction du parti, inquiète de l'effet électoral de cette audace: pas question de s'écarter du soutien inconditionnel d'Israël. C'est bien sûr aussi l'attitude du Parti républicain. Même si on commence à percevoir à la Maison-Blanche de l'agacement contre l'attitude inflexible d'Ariel Sharon. Jérusalem vient de perdre des miettes du soutien financier américain à cause de la barrière de l'apartheid. Et Colin Powell, à la grande fureur des amis de Sharon, a adressé une lettre d'encouragement aux négociateurs officieux de l'Initiative de Genève.