Achevée récemment, l'enquête sur le cannabis 2004 révèle une baisse de 10% des surfaces cultivées en cannabis dans le Nord. Cette enquête n'en pose pas moins la question sur la pertinence des paramètres d'analyse adoptés et du degré d'implication des organismes internationaux dans le développement de solutions alternatives. Une baisse non négligeable en surfaces cultivées en cannabis dans les provinces du Nord. Telle est la principale conclusion à laquelle l'Enquête sur le cannabis 2004. Non encore publié, ce rapport est réalisé par l'Agence pour la promotion et le développement économique et social des préfectures et provinces du Nord du Royaume, en collaboration avec l'ONUDC (l'Office contre la drogue et le crime, organisme relevant de l'ONU). Deuxième du genre, cette enquête donne la suite à celle réalisée par les deux organismes en 2003. Tout en confirmant l'ampleur générale de la production de cannabis dans la région du Rif, cette enquête révèle une réduction «prometteuse» de 10% de la superficie des cultures de cannabis, tombée à 120 500 ha, contre une superficie de 134.000 ha relevée par l'enquête précédente. Un constat d'autant plus important qu'au total, 1770 ha de cannabis de plus ont été recensés en 2004. En plus de la zone d'énquête (les provinces de Chefchaouen, Tétouan, Taounate, Al Hoceïma, Larache), des visites ont aussi été menées dans les zones limitrophes des provinces voisines de Sidi Kacem et de Taza. Aucun champ de cannabis ne fut découvert dans ces provinces. Le Maroc n'en reste pas moins la principale source de résine de cannabis (haschisch), alimentant en particulier le marché européen. La culture du cannabis dans le Rif occupe environ 6 % de la superficie totale et 13% des surfaces agricoles des 5 provinces couvertes par l'enquête. D'après l'analyse d'images satellite SPOT couvrant toute la zone d'enquête, les plus grandes diminutions ont eu lieu dans la province d'Al Hoceïma (- 54%) et dans la province de Taounate (-43%). «Ces diminutions font suite à des actions de sensibilisation menées par les autorités locales», note-t-on dans cette enquête, ajoutant que « l'attention portée à cette province à la suite du tremblement de terre de février 2004 semble avoir été un facteur qui a incité les agriculteurs à planter moins de cannabis ». La culture de cannabis a par contre sensiblement augmenté dans les provinces de Tétouan (+19%) et Chefchaouen (+13%). Chefchaouen où 62 % des cultures de cannabis sont concentrées. Basée sur des rendements de cannabis de 1270 kg/ha pour les terres irriguées et de 750 kg/ha pour les terres non-irriguées (bour), la production totale de cannabis brut est estimée à l98 000 tonnes et sa conversion en résine (haschisch) à environ 2 760 tonnes. La même baisse par rapport à 2003 est constatée. Le revenu brut potentiel pour les exploitants est estimé à environ 3 milliards de Dh. Ce chiffre est équivalent à 0.7% du PIB de 2003. « Si l'on se base sur une estimation de 96600 familles et 804 000 personnes bénéficiant de la culture du cannabis dans le Rif (estimation 2003), cela représente un revenu brut d'environ 3600 Dh », relève l'enquête. Avec un prix au détail moyen de 6,9 $ par gramme en Europe occidentale en 2004, le chiffre d'affaires total du marché de la résine de cannabis d'origine marocaine peut être approximativement estimé à 13 milliards de $. Cette deuxième enquête s'est attachée à mesurer l'évolution et améliorer les connaissances sur les mécanismes de production et les caractéristiques sociologiques liées à cette culture. Une enquête sociologique approfondie apporte dans ce sens des éléments nouveaux sur les raisons de la culture du cannabis et les possibles facteurs de changement. On apprend par là que la culture du cannabis fait appel, en plus de la main-d'œuvre locale, à une main d'œuvre occasionnelle provenant de l'extérieur, de la préparation du sol jusqu'à la récolte. Celle-ci représente une bonne moitié de la main d'œuvre globale. Le salaire moyen est de 50 Dh par jour. Les exploitants prennent en charge les frais de nourriture et d'hébergement des ouvriers. la masse salariale versée aux travailleurs occasionnels est estimée à 340 000 000 de Dh pour environ 6500000 journées de travail. A noter également que la production et la circulation du cannabis n'a pas la même place dans la vie des populations suivant les lieux et les dates de son introduction. Le cannabis est tantôt assimilé à la monoculture, tantôt il est associé à d'autres cultures traditionnelles, ou encore banni. Trois archétypes sont relevés dans ce sens. Le premier concerne les zones où cette culture est perçue comme un droit historiquement acquis. Le territoire qui correspond à ce premier archétype se concentre autour de Ketama, qui est la région la plus ancienne où l'on cultive le cannabis au Maroc. Le deuxième archétype concerné des zones où la culture du cannabis est tolérée. Il s'agit essentiellement de zones où l'introduction de la culture du cannabis date du début des années 80. Cette zone est centrée sur la province de Chefchaouen en débordant sur le Sud-ouest d'Al Hoceima, le Nord de Larache et de Taounate et l'Est de Tétouan. Le troisième archétype concerne les zones où la culture du cannabis est considéré par la population comme une activité totalement clandestine. Cette zone est constituée essentiellement des communes situées sur le front d'extension du cannabis et où l'introduction de cette pratique s'est faite récemment (dernière décennie) ou est en cours d'introduction. La commercialisation demeure la tâche la plus délicate et les réseaux sont difficilement maîtrisables par les producteurs. «Une élite s'est particulièrement spécialisée dans l'écoulement de la production à l'intérieur du marché national et européen. C'est un métier qui se singularise par sa capacité d'opérer des formes de contrôle du marché, des prix et des rythmes de commercialisation », relève l'enquête. Toujours est-il que l'économie du cannabis a façonné les territoires des provinces du Nord. Ses incidences sont donc nombreuses et multidimensionnelles. La particularité de l'enquête de cette année est que ses Informations pourront servir à l'élaboration d'une stratégie nationale de lutte contre la culture du cannabis. En attendant, des questions restent à poser. A commencer par celle relative à la pertinence de la méthodologie et paramètres adoptés et qui restent à valider. Les estimations présentées dans ce rapport cumulent bien d'incertitudes. Les résultats relatifs aux superficies cultivées font d'ailleurs l'objet de contestation de la part d'experts marocains. Ces résultats devront donc être réappréciés en 2005 par une analyse qui sera menée en s'appuyant sur une méthodologie acceptée par tous. Les rendements du cannabis brut (kg/ha), les proportions du cannabis vendues par les fermiers à l'état brut et celles vendues en poudre, les taux de transformation du cannabis brut en résine ainsi que les prix de vente du cannabis brut et de la résine gagneraient à atteindre les perfectionnements nécessaires. Perfectionnements qui seront le résultat de l'amélioration continue des connaissances sur le terrain et de la validation conséquente de leurs résultats. L'enquête pose également le problème des mesures d'accompagnement de la mise en place d'une stratégie alternative de développement des provinces et préfectures du Nord du pays. Si des initiatives comme la présente enquête, financée par ailleurs aux deux tiers par le Maroc, voient s'impliquer ONG et organismes internationaux, le même constat n'est pas relevé en matière d'actions concrètes, sans lesquelles la culture du cannabis ne peut être limitée, encore moins éradiquée. Or, au lieu d'agir dans ce sens, le constat est que, généralement, nos propres initiatives sont retournées contre nous. http://www.aujourdhui.ma/telechargements/Rapport-cannabis-2004.pdf Télécharger l'intégralité de l'Enquête sur le Cannabis 2004. http://www.aujourdhui.ma/telechargements/Rapport-cannabis-2004.pdf