Une enquête récente sur la culture du cannabis montre que les paysans ne récoltent que 2 milliards de DH de revenus par an. Tandis que les trafiquants brassent un chiffre d'affaires de 114 milliards de DH, essentiellement réalisé en Europe. Pour Driss Benhima, DG de l'Agence du Nord, l'instauration d'une culture de substitution est capable d'éradiquer celle du cannabis. Pour atteindre cet objectif, l'Etat doit repenser l'organisation sociale et foncière dans la région du Rif central. Depuis plusieurs années, les journalistes-enquêteurs marocains et étrangers ont produit une quantité impressionnante d'articles, de reportages et autres analyses socio-économiques sur la culture du cannabis dans les régions du nord du Maroc. En découvrant le rapport réalisé en un temps record par l'agence du Nord, en partenariat avec plusieurs autres organismes marocains et internationaux, on réalise que les données statistiques fiables faisaient affreusement défaut sur cette question. En effet, l'agence du Nord a rendu publics lundi 15 décembre à Rabat, les résultats d'une enquête, la première du genre, sur la culture du cannabis dans le nord marocain, avec un taux de fiabilité de l'ordre 87%. L'enquête a permis d'estimer les surfaces dédiées au cannabis à environ 134.000 hectares, dont 12% sont irriguées par des moyens traditionnels. En somme, plus d'un quart de la surface agricole utile du Rif est occupé par ces cultures. C'est ainsi que la production totale dépasse les 47.000 tonnes de cannabis non traité. Sur cette quantité, la province de Chefchaouen vient en tête, avec 43% de la production. Elle est suivie des provinces d'Al Hoceïma (25%), Taounate (21%), Larache (7%) et Tétouan (4%). Aucune culture n'a été rapportée dans la province de Taza. Toutefois, les 47.000 tonnes de cannabis ne permettent de produire qu'un peu plus de 3.000 tonnes de résine de cannabis, c'est-à-dire le haschich destiné à la commercialisation puis à la consommation. 75% des villages et environ 100.000 familles participent à cette culture. Financièrement, les terres dédiées au cannabis leur rapportent 7 à 16 fois plus que celles cultivées en orge. Tout dépend si les cultures sont irriguées ou pas. La vente à l'état brut rapporte à l'ensemble des cultivateurs un revenu d'environ 2 milliards de DH (214 millions de dollars), soit 40 DH par kilogramme. Ce qui leur assure, en moyenne, un revenu annuel ne dépassant pas les 21.000 DH pour chaque exploitation qui compte en moyenne huit personnes. Bref, une misère. Et pour cause, le gros du gâteau est raflé par les trafiquants de la résine de cannabis. Si les bouquets de cannabis sont vendus à 40 DH/kg par le paysan, la résine est vendue à 900 DH/kg dans le marché marocain et à 50.000 DH/kg dans les pays européens. Le chiffre d'affaires total de ce commerce du haschich d'origine marocaine peut être approximativement estimé à 114 milliards de DH (12 milliards de dollars). L'essentiel de ce chiffre d'affaires est réalisé en Europe. Qu'en est-il des cultures alternatives? En fait, si les revenus des paysans (2 milliards de DH) sont assez modiques, l'introduction de cultures de substitution paraît beaucoup plus difficile. Driss Benhima, DG de l'Agence du Nord, assure qu'aucun produit miracle n'a été trouvé. Il y a certes des pistes de réflexions: miel, lait, raisins, etc. Mais il est nécessaire avant tout d'engager un certain nombre de mesures préalables, notamment en créant une trame urbaine dans la région du Rif central, une zone où la population rurale et de 1,6 million et où la densité de population est la plus élevée au Maroc (124 habitants/km2). Par ailleurs, les services à la population fournis par l'Etat sont extrêmement faibles dans cette région. Ce qui a poussé Benhima à affirmer qu'aujourd'hui, l'organisation sociale dans le Rif central et la structure foncière ne sont pas adaptées au développement des cultures alternatives. La solution doit passer par un développement social et donc une implication de l'ensemble des départements étatiques. Refusant d'aborder le volet sécuritaire, Benhima a précisé que l'approche prônée par l'Agence privilégie davantage l'écoute et la sensibilisation que la répression. D'ailleurs, à aucun moment dans le rapport, le terme "répression" n'a été mentionné. Pourtant, l'écosystème est gravement menacé car les cultivateurs font un recours massif aux engrais et surexploitent les sols. De plus, la déforestation systématique favorise l'érosion des sols. A noter que cette étude a été réalisée sur le terrain par des fonctionnaires de la direction de la programmation et des affaires économiques du ministère de l'Agriculture. Ce travail de terrain a permis de calibrer les images du satellite Spot 5 qui a fourni des informations précieuses. Cette enquête a été lancée en juillet 2003, cinq mois après la signature d'un accord entre le gouvernement marocain et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC).