Entretien avec Khadija Moussayer, présidente de l'Association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques ALM : Il y a quelques jours vous avez évoqué dans un communiqué adressé aux médias sur la possible transmission du virus dans l'air. Pouvez-vous nous en dire plus ? Khadija Moussayer : Selon de récentes études la contagion s'effectuerait aussi par une transmission du virus via l'air expiré par les gens (les «aérosols»), et non plus seulement par les gouttelettes et postillons expulsés vers le visage d'autres personnes ou sur des surfaces. Le Covid-19 serait donc susceptible de se transmettre quand les gens parlent et respirent, mais on ignore encore si cela représente quantitativement une voie importante de transmission. Les services de santé américains ont déjà repris cette possibilité dans leurs recommandations le 1er avril. La Chine, par précaution, avait déjà bien intégré auparavant cette hypothèse dans ses recommandations. Cette éventualité ne remet pas en cause les gestes barrières (sinon à les appliquer plus strictement) et surtout la distance d'un mètre pour nous prémunir contre les risques de l'air expulsé par la bouche et le nez d'un interlocuteur. Si le coronavirus est en suspension dans l'air et se transmet par voie aérienne dans certains cas (certainement minimes), cela pourrait aider à comprendre pourquoi il est si contagieux. Les personnes infectées mais sans symptômes seraient susceptibles d'être responsables d'un grand nombre de contagions, à leur insu. Cela expliquerait aussi la naissance et la propagation foudroyante de foyers infectieux lors de regroupements de personnes. Quelles sont les choses que les gens ignorent sur le Covid-19 à la lumière des recherches faites par les experts? D'abord considérées comme secondaires ou anecdotiques, l'altération ou la perte d'odorat et/ou de goût s'avèrent en réalité un marqueur important du Covid-19. Les études récentes ont montré qu'elles surviennent dans 80 à 90% des cas étudiés en Europe. C'est donc un signe caractéristique qui doit alerter immédiatement et faire penser qu'on a la maladie. Qu'est-ce qu'on en sait jusque-là sur les personnes à risque ? Certains médecins, notamment en France, ont déclaré qu'ils se sont trompés sur les personnes les plus vulnérables au virus et que le Covid-19 peut aussi tuer les personnes en parfaite santé, notamment les jeunes et pas seulement les personnes âgées ? Le Covid-19 n'atteint pas en effet gravement que les personnes âgées mais aussi les sujets à risque qui sont: ceux souffrant d'obésité et de problèmes respiratoires (asthme, mucoviscidose...), rénaux (dialysées), cardiaques et d'hypertension, de diabète ; ceux qui reçoivent des médicaments immunosuppresseurs ou de la cortisone dans le cadre du traitement des maladies auto-immunes (lupus, polyarthrite rhumatoïde, Gougerot-Sjögren...). Certaines de ces maladies auto-immunes affaiblissent particulièrement le système immunitaire, c'est le cas du lupus systémique. Une chimiothérapie administrée pour traiter les cancers affaiblit également le système immunitaire, de même évidemment avoir une immunodépression acquise engendrée par le sida... Ceux qui décèdent de cette épidémie appartiennent néanmoins à plus de 90% à la catégorie des personnes âgées. Comment le coronavirus agit-il sur le système immunitaire ? Notre système immunitaire est composé de cellules spécialisées (globules blancs) et de substances, les anticorps, censées normalement protéger nos organes, tissus et cellules des agressions extérieures provenant de différents virus, bactéries, champignons… Dans le cas du coronavirus, on paraît assister à un emballement du système immunitaire. Sont sécrétées en trop grande quantité des molécules, en particulier les cytokines, produites normalement par les cellules du système immunitaire, pour favoriser la réaction inflammatoire et ainsi défendre le corps agressé. Ce dérèglement est appelé souvent «orage cytokinique». Chez certains individus, cette réaction va provoquer des dommages à des organes comme le poumon, le cœur, le rein, nécessitant alors des soins hospitaliers. Comment protéger nos aînés dans cette période de crise sanitaire ? Outre un confinement strict, la nécessité d'observer les bonnes prescriptions chez les personnes âgées est plus que jamais d'actualité en cette période difficile. L'intoxication médicamenteuse est en effet une des premières causes d'hospitalisation de cette catégorie de malades en France comme au Maroc en temps normal. Il faut les encourager à poursuivre correctement leurs traitements prescrits par leur médecin et à éviter toute automédication préjudiciable à leur santé. Il s'agit d'éviter de surajouter à l'épidémie du coronavirus qui atteint une partie d'entre elles une seconde crise sanitaire causée par une défaillance des soins au quotidien dans cette population. Il faut faire donc attention à : l'automédication ou le surdosage (halte à l'intoxication médicamenteuse) La prise de médicaments, même anodins en apparence, présente toujours des risques d'effets secondaires. Le vieillissement physiologique et la fréquence de maladies associées chez la PA accroissent ce danger. Les médicaments restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l'organisme d'une personne âgée. Leur élimination rénale ralentie, leur accumulation dans les graisses et leur passage plus agressif dans le cerveau rendent de fait les PA beaucoup plus fragiles face aux médicaments. Ainsi, le paracétamol s'élimine deux fois plus lentement, le diazepam utilisé notamment dans l'anxiété (valium), quatre fois plus lentement : il faut 80 heures – 3 jours ! pour éliminer la moitié de la dose donnée de ce dernier médicament qui, avec une prise quotidienne, peut s'accumuler jusqu'à l'intoxication. la mauvaise observation des traitements Les personnes âgées doivent continuer leurs traitements existants (et même ceux qui diminuent leur système immunitaire) en demandant conseil à leurs médecins pour leurs adaptations éventuelles. Et cela afin de préserver aussi leurs capacités physiques en cas de contamination par le Covid-19. Un arrêt brutal ou l'inobservation d'une thérapeutique se révèle en effet souvent dangereuse. Ainsi l'arrêt des corticoïdes (cortisone) lors d'un traitement au long cours doit impérativement être progressif. Tout arrêt brutal expose le patient à une insuffisance surrénalienne aiguë. En effet, la prise de corticoïdes de synthèse bloque la sécrétion des corticoïdes naturels produits par les glandes surrénales. Il faut donc s'assurer que ces glandes ont bien pris le relais avant l'arrêt définitif des corticoïdes de synthèse. Sinon, cet arrêt est susceptible de provoquer une insuffisance surrénalienne aiguë, mortelle si elle n'est pas prise en charge immédiatement.