La rencontre au Camp Quintos de Mora de Driss Jettou avec José Maria Aznar aura au moins servi à nous rappeler que les deux pays sont condamnés à s'entendre. Le cadre était agréable et l'ambiance chaleureuse. De quoi faire oublier la longue liste de contentieux entre Rabat et Madrid. Tenues plutôt décontractées, sans cravate, dans un lieu qui se prête à des vacances de rêves et un sourire qui ne quitte pas leurs deux visages. C'est avec de tels ingrédients de détente et de bonne entente qu'a eu lieu la rencontre entre Driss Jettou et José Maria Aznar, les deux Premiers ministres respectivement du Maroc et de l'Espagne. Organisée sur invitation du chef de gouvernement espagnol, cette rencontre qui a été tenue jeudi dernier, au camp Quintos de Mora, propriété de l'Etat espagnol située à Los Yebenes, dans la région de Tolède, à quelques150 kilomètres de la capitale Madrid. Les choix du lieu et du moment sont loin d'être un heureux hasard. Quelques semaines seulement nous séparent des tragiques événements de Casablanca, face auxquels, il faut le reconnaître, l'Espagne a fait preuve d'une solidarité totale et d'un soutien inconditionnel vis-à-vis du Maroc. L'espace où s'est déroulé ce véritable sommet, le premier depuis trois ans, est souvent réservé aux grands leaders et chefs d'Etats «amis». George W.Bush et Tony Blair sont, à un grain d'exagération près, des habitués du coin. Autant dire que le cours normal de la relation entre les deux pays reprend graduellement ses droits. Le mot d'ordre est l'optimisme. Il aura suffi d'une réunion de trois heures, précédée par d'autres à caractère sectoriel où seuls quelques conseillers étaient présents, ainsi que les deux ambassadeurs, pour que les signes avant-coureurs d'un dégel définitif de la relation entre les deux pays apparaissent. Qualifiant cette réunion de « positive et agréable », José Maria Aznar n'a pas manqué cette occasion pour rappeler le soutien de son pays au Maroc dans la lutte contre le terrorisme après les attentats du mois dernier. « Notre communication et notre niveau de compréhension ne pouvaient être mieux », a déclaré le Premier ministre espagnol. « Cela ne signifie pas que nous ayons exactement la même vision sur tous les problèmes. Mais cela veut dire que notre vision partagée est suffisamment solide pour pouvoir être très optimistes ». Il a jouté que d'autres réunions à un niveau ministériel auraient lieu au mois d'octobre au Maroc. Ce jeudi et dans cette ferme, les discussions étaient sur fond d'un agenda ouvert. Relations économiques, immigration clandestine, affaire du Sahara, terrorisme… Tout y est passé. De quoi évoquer toute une liste de contentieux entre Rabat et Madrid. Une liste particulièrement longue qui a plongé la relation entre les deux pays dans un éternel et inextricable « je t'aime, moi non plus ». Seule une approche globale, qui saurait tenir compte de l'aspect économique, dissiperait les « malentendus » et sonnerait le glas d'une crise qui n'a que trop duré. Il y va de l'intérêt avant tout économique des deux pays. Le ralliement espagnol à l'optique américaine y serait également, et certainement, pour quelque chose. En attendant, la classe politique espagnole se dit d'ores et déjà satisfaite de la normalisation des relations entre les deux pays. La visite en Espagne de Driss Jettou, a suscité une « satisfaction très profonde pour nous, pour les démocrates espagnols, pour les partis politiques, pour le gouvernement espagnol et pour le peuple espagnol avant tout», a dit Manuel Marin, député et responsable de la politique étrangère du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Concernant la question de l'immigration clandestine, Manuel Marin a indiqué qu' «il faut d'abord se mettre d'accord sur ce dossier sur le plan bilatéral», ajoutant que «l'argumentation du Maroc pour essayer d'établir un accord général avec l'Union européenne (UE) est correcte». Evoquant la question du Sahara, Gustava de Aristegui, porte-parole du Parti Populaire (PP), a indiqué que la position de l'Espagne sur ce dossier se réfère à la position des Nations unies. « Pour l'Espagne, le bien-être, le progrès, la démocratie, la liberté et la stabilité du Maroc est une priorité absolue », a-t-il indiqué. Ce qui nous amène à un volet non moins crucial : les relations économiques entre les deux pays. Malgré les hauts et les bas qui parsèment les relations politiques entre Rabat et Madrid, le partenariat économique est toujours allé bon train. Plusieurs chantiers ont toujours figuré dans la ligne de mire des opérateurs espagnols : textile, tourisme, agro-industrie et pêche. Mais aussi des secteurs où les entreprises espagnoles disposent d'une grande expérience comme les télécoms et la construction. Deuxième partenaire économique du Maroc, l'Espagne compte à plus d'un égard dans l'échiquier stratégique du Royaume. Encore faut-il que le Gouvernement Aznar assouplisse ses positions sur certains points. A commencer par l'affaire du Sahara, face à laquelle l'Espagne, pays qui n'est pas étranger à la légitimité des revendications marocaines, se doit de ne plus adopter des positions aussi mitigées que celle adoptées jusque-là.