Sidi Moumen, avec ses quelque 20.000 baraques. La misère y est reine et l'hygiène aux abonnés absents. Un terreau où poussent et prospèrent toutes sortes d'extrémismes. S'il fallait attribuer une palme d'or de l'insalubrité, de la saleté et de la misère, celle-ci reviendrait incontestablement aux différents bidonvilles de Sidi Moumen à Casablanca. Un ensemble hideux, abandonné de tout et de tous et ne ressemblant à aucun autre. Quelque16.000 baraques, selon le recensement de 1992. Le chiffre, aujourd'hui atteindrait les 20.000, pour une population de plusieurs dizaines de milliers d'âmes, réparties principalement entre les douars R'hamna, Thomas et Zaraba. Avec les annexes de Bouâzza, El Menzeh, Moulay Hicham et Chhouba, dans l'ancien Sidi Moumen. C'est d'ici que sont originaires huit des quinze kamikazes ayant perpétrés les attentats sanglants du vendredi 16 mai, qui ont endeuillé le Maroc tout entier. Sidi Moumen est né au début des années soixante-dix. Il a recueilli les vagues successives de personnes fuyant les campagnes ruinées par des années de sécheresse et cherchant du travail dans les usines de Casablanca. Des familles très souvent nombreuses vivant dans la misère et la promiscuité les plus totales. Les jeunes sont complètement désœuvrés et désenchantés. Ils ont des regards hagards où perce le pessimisme le plus noir. Les adultes, quant à eux, semblent baigner dans une douce résignation. Les passe-temps des jeunes sont des parties de foot, de jeu de dames ou encore la mosquée. Les enfants jouent comme ils peuvent au milieu des tas d'ordures dans lesquels les chèvres et les ânes cherchent une maigre pitance. La plupart des jeunes ne rêvent que de traverser le Détroit, pour tenter leur chance. «De toute façon, ça ne pourra pas être pire qu'ici !», s'exclame l'un d'eux. C'est dans ces horizons sombres que les groupuscules intégristes font florès. Car tous ces ingrédients –et la misère et le chômage – préparent les jeunes et font qu'ils deviennent des proies faciles pour les intégristes. La Salafia Jihadia ou Assirat Al Moustaqim (le Droit Chemin) y font la loi. Chacun se rappelle de Fouad Kerdoudi, ce jeune habitant lapidé à mort, en février 2002, car considéré comme «dépravé» par Assirat Al Moustaqim, dont l'émir, Miloudi Zakaria, 35 ans, avait décrété une fatwa légalisant l'assassinat du pauvre jeune homme. Miloudi Zakaria et treize membres du groupe qui ont participé à la mise à mort de Kerdoudi sont encore en prison. Mais ils n'ont pas tellement perdu au change, car dès l'entrée du bidonville, on est frappé par l'ampleur des dégâts : baraques construites en matériaux récupérés, bidons, tôles, caisses, planches, cartons goudronnés et vieilles bâches. Tout cela agrémenté de tas d'immondices peu ragoûtantes et irrespirables. L'intérieur des baraques, dont les «portes » sont fermées à l'aide de cadenas, n'est guère mieux loti. Elles comportent généralement un couloir très exigu donnant sur deux pièces sombres, ne comportant généralement pas de fenêtres. Bonjour l'aération. L'été, c'est le four et l'hiver, les inondations. Les gens essaient de colmater comme ils peuvent les brèches de la toiture en tôle à l'aide de morceaux de vieilles bâches et de plastiques. Que les chats se font un malin plaisir d'arracher. Quand l'eau de pluie persiste à s'infiltrer, ce sont des récipients posés à même le sol qui se chargent de recueillir cette denrée précieuse. Durant l'hiver, les ruelles étroites séparant les baraques deviennent autant de ruisseaux, chargés de détritus. Elles servent également d'«écuries» pour les bêtes de somme. Car il faut savoir que dans ce sanctuaire du chômage, l'une des principales activités est le transport public sur des carrioles. Et si toutes sont alimentés en électricité, il n'est pas rare de voir un compteur pour plusieurs baraques. Pour l'eau potable, les habitants doivent se déplacer à la fontaine publique qui devient un espace de débats. Dans son discours du 20 août 2001, le Souverain avait érigé la question de l'habitat insalubre en «priorité absolue». Suite à cela, un programme national visant l'éradication de l'habitat insalubre à l'horizon 2012 a été mis sur pied. Sa mise en application nécessitera une enveloppe budgétaire de l'ordre de 30 milliards de dirhams. Une étude est en cours pour construire sur une superficie de 11 hectares des appartements pour le recasement des bidonvilles. À des prix et des échéances préférentiels. En son temps, l'idée était opportune et généreuse. Il s'agit, à présent, d'un impératif urgent.