L'enseignant-chercheur, Saïd Lakhal, estime que le fanatisme est toujours agissant au Maroc, car ses racines n'ont pas été extirpées. ALM : Selon vous, le danger de l'extrémisme est-il toujours présent au Maroc? Saïd Lakhal : A mon avis, le danger de l'extrémisme, est non seulement toujours présent, mais il se renforce davantage comparativement à la période précédant les attentats du 16 mai 2003. C'est le cas pour le Maroc, mais également pour d'autres pays arabes, aussi bien ceux qui connaissent déjà ce danger que ceux n'ayant jamais pensé y faire face comme le Koweït ou le Qatar. Pour ce qui est du Maroc, l'extrémisme y est profondément ancré. Notre pays ne peut venir à bout de ce danger de manière rapide et simple. Car l'extrémisme est le résultat de plusieurs décennies de propagande et d'encadrement idéologique, réalisés avec la bénédiction directe ou indirecte de l'Etat. Ce dernier a participé à l'implantation des idées extrémistes et du fanatisme. Aujourd'hui, il est incapable de stopper cette avancée, ou plus exactement ce tsunami. Justement, aujourd'hui, qu'est-ce qui alimente cet extrémisme? En fait, je pense qu'il y a deux types de raison. Certaines sont directes et d'autres indirectes. Pour ce qui est de la première catégorie, je reviendrais un peu à l'Histoire. Au cours de la guerre froide, l'Etat marocain a mis en place des systèmes d'enseignements basés sur le takfir de toutes les mouvances gauchistes. L'Etat a également encouragé l'émergence de mouvements islamistes pour contrer la poussée socialiste. C'est le cas de la Chabiba Islamiya, Al Adl Wal Ihssane puis la Salafiya Wahabiya. Une bonne partie de cette dernière s'est transformée en Salafiya Jihadia, renforcée par des anciens afghans marocains de retour de la guerre sainte. Quel rôle ont joué ces derniers dans l'aggravation de la situation? Les afghans marocains sont extrêmement bien entraînés. Ils manient les armes, les explosifs et le discours extrémiste. Ils sont capables de réaliser des lavages de cerveaux à grande échelle. Il existait donc au Maroc un climat d'anarchie idéologique, ce qui a facilité l'introduction sur le sol marocain des livres, des cassettes et des fonds. L'Etat a également fermé les yeux sur les déplacements des Chioukh, d'Arabie Saoudite notamment, qui diffusent des idées clairement extrémistes. En somme, je pense que l'éradication des idées extrémistes n'est pas encore en bonne voie car jusqu'à présent l'Etat marocain ne prend pas les choses avec suffisamment de sérieux. Que doit-il faire, selon vous? Il doit se dresser contre les Chioukh qui prônent la haine et le fanatisme. Aujourd'hui, il y a toujours des imams qui tiennent un discours extrêmement hargneux à l'égard de certaines formations politiques, des associations et l'Etat lui-même. Je pense également au problème des marchands ambulants qui vendent des cassettes, des CD et des livrets, dans les marchés des grandes villes mais également dans les plus petits villages. L'Etat doit également prendre en considération qu'il y existe des associations qui se cachent derrière l'action culturelle et sociale mais qui militent auprès des populations contre les partis politiques et l'Etat. Vous avez parlé des raisons directes. Qu'en est-il des raisons indirectes? Je citerais avant tout la dégradation, pour ne pas dire le pourrissement, qui caractérise les services publics. Aussi, l'Etat est non seulement incapable de protéger les deniers publics de la dilapidation, mais il a échoué dans ses tentatives de récupérer les deniers détournés. Cet état des choses a donné lieu à une profonde déception et à un dégoût auprès de la population. Personnellement, je rencontre des élèves qui affirment que s'ils en ont l'occasion, ils n'hésiteraient pas à déposer des bombes devant tout ce qui symbolise l'Etat. C'est une réalité extrêmement grave qu'il ne faut absolument pas ignorer. Ces jeunes sont une pépinière pour l'extrémisme et une réserve de futurs terroristes. Et les ouléma dans tout ça? Les ouléma, en tant qu'acteurs dans la société, ont une part de responsabilité. Mais à eux seuls ils ne peuvent rien faire, car les plus intègres parmi eux ont été carrément marginalisés et les plus extrémistes ont infiltré le ministère des Affaires islamiques. En somme, nous avons besoin d'une stratégie globale dans tous les domaines: économique, politique, social et même sécuritaire. Je me demande ce que fera l'Etat si Al Adl Wal Ihssane décrète un soulèvement général. Comment va-t-il réagir devant ce nombre incalculable de militants?