Sarim El Fassi Fihri, directeur des studios Cinédina, estime que le Maroc ne récolte pas plus de 20% des productions étrangères. Le Centre Cinématographique Marocain, selon lui, est responsable de cette situation. Entretien. ALM: Peut-on savoir combien d'argent est effectivement dépensé au Maroc, lors des tournages des films étrangers? Sarim El Fassi Fihri : Celui qui réussira à vous donner un chiffre exact serait un génie. En fait, il est pratiquement impossible de répondre à cette question avec exactitude. Car il s'agit d'une véritable nébuleuse. En dépit du passage au Maroc de super-productions, à coups de millions de dollars, toute l'industrie cinématographique nationale ne mobilise même pas 50 millions de DH de capital. C'est pour vous dire que les chiffres faramineux dont on parle à chaque fois qu'un film étranger est tourné au Maroc ne profitent pratiquement pas à l'industrie nationale. Par exemple, un long-métrage d'un budget de 100 millions, maximum, ne coûte que 20 millions de dollars. Ce montant sert à payer la maind'œuvre, les comédiens, la location des véhicules, l'hôtellerie et la douane. Aussi, je pense que la production d'Alexandre, un film dont je connais très bien le dossier, avec un budget de 150 millions de dollars, ne dépensera guère plus de 10% au Maroc. Pourquoi n'est-il pas possible d'avoir des chiffres exacts? D'abord, il faut savoir que les étrangers ne viennent pas au Maroc pour le soleil ou pour vos beaux yeux. Le marché marocain est devenu compétitif et concurrence même des pays comme l'Espagne ou la Grèce, surtout dans le domaine de la décoration. Mais les sommes dépensées restent faibles pour deux raisons essentielles. D'une part, les producteurs étrangers passent par des entreprises marocaines qui préfèrent opérer dans l'ombre, sans aucune comptabilité légale. Et d'autre part, le Centre Cinématographique Marocain (CCM) ne procède jamais à un contrôle a posteriori. De quel contrôle s'agit-il? Avant de commencer le tournage, les producteurs doivent remplir un imprimé que leur remet le CCM. Ils y inscrivent un nombre considérable d'informations, telles que le montant de l'investissement engagé au Maroc, le nombre de comédiens et de figurants qu'ils comptent recruter, etc. Mais personne ne va vérifier si ces engagements sont effectivement respectés. En repartant, les producteurs ne laissent aucune trace comptable. Même les entreprises marocaines avec lesquelles ils travaillent préfèrent opérer dans l'ombre. Techniquement, il est possible de récolter toutes les informations nécessaires, mais le CCM ne fait rien dans ce sens. Les productions étrangères sont-elles, au moins, bénéfiques pour la formation des techniciens marocains? A ce sujet, je vous invite à jeter un coup d'œil sur les génériques des long-métrages marocains. Aucun d'entre eux ne comporte 100% de Marocains. La quasi-totalité des postes de compétences sont occupés par des étrangers. Donc, même d'un point de vue de la formation technique, les productions étrangères ne profitent pas aux professionnels Marocains. Pourtant, les textes de lois sont clairs à ce titre. Ils prévoient un certain nombre de techniciens marocains, de stagiaires… mais presque personne ne respecte ces dispositions. Là encore, c'est la responsabilité du CCM? En effet, oui. Le problème, c'est que le CCM est à la fois juge et partie. Le CCM a reçu, il y a six mois, 5 millions de DH pour l'achat d'équipement dont le secteur privé dispose déjà. J'ai envoyé une lettre au ministre de la Culture pour protester contre cette mesure. Il ne m'a toujours pas répondu. Comment voulez-vous encourager l'initiative privée, en dotant un organisme de l'Etat de moyens faramineux ? Il faut rappeler que le directeur du CCM, en poste depuis 17 ans, nous a fait beaucoup de tort. Par exemple? En 2002, il a été derrière l'abrogation des dispositions intéressantes d'une loi que le ministère avait préparée en concertation avec les professionnels. Il s'agissait, en fait, de n'accorder des autorisations de tournage qu'aux sociétés de droit marocain. Les étrangers devaient passer par l'une d'elles ou créer leur propre filiale au Maroc. En outre, la loi imposait un minimum d'expérience pour pouvoir exercer le métier de producteur. Aussi, un gérant ne peut exercer que dans une seule société de production et ce, pour assurer une certaine stabilité dans le secteur. Tout cela a été abrogé. Maintenant, même un épicier peut devenir producteur du jour au lendemain. Si toutes vos revendications sont appliquées, quel impact aurait l'industrie cinématographique sur l'économie du pays? Tout d'abord, on pourra multiplier nos chiffres au moins par trois. Aujourd'hui, toute l'industrie ne fait travailler que 300 à 400 personnes. Nous pouvons attirer les cinéastes d'Afrique noire qui restent toujours dépendants de l'Europe et pourtant nous avons tous les moyens de leur offrir un service de qualité. Même chose pour la production nationale qui demeure notre objectif principal.