Les studios Cinédina, qui existent depuis janvier 2001, se trouvent à 20 km de Casablanca. Ils s'étendent sur 7,5 hectares et correspondent aux normes internationales. Pourtant peu de gens les connaissent. Leur directeur Sarim El Fassi s'explique sur ce qui ressemble à une conspiration du silence. ALM : Peu de personnes parlent de vos studios, pourquoi ? Sarim El Fassi : Ça les dérangeait de voir l'industrie du cinéma tirée vers le haut. On évite d'en parler pour que les choses restent telles quelles. Le CCM a un site web pour la promotion du Maroc en direction des cinéastes étrangers, et bien, il n'y a pas un seul mot sur Cinédina. Alors que ce sont les seuls vrais studios professionnels au Maroc. Ils sont dotés du plus grand plateau en Afrique. Il s'étend sur 1200m2. À titre d'exemple : le plus grand plateau en Afrique du Sud fait 1100 m2 et en Egypte 800 m2. Et personne n'en parle ! Depuis que la nouvelle équipe de 2M est en place, le personnel de production a pour ordre de ne pas s'adresser à nous. Vous comptez beaucoup sur les commandes de la télé ? Non ! Mais j'estime que la production étrangère, seule, ne peut pas réellement créer une industrie. Une industrie du cinéma doit s'appuyer sur ses propres bases. Les étrangers ont beau laisser des milliards, ils se soucient très peu du développement de l'industrie cinématographique au Maroc. Ils font leurs films et s'en vont. La chaîne de télévision 2M s'est lancée dans la production depuis trois ans avec des chiffres d'affaires non négligeables. Elle ne nous a pas laissé un centime. Ils ne s'adressent pas à vous, parce que vous êtes peut-être cher ? Je ne crois pas. À partir du moment où l'on a réussi à héberger deux téléfilms de la TVM avec des moyens extrêmement limités, il n'y a personne qui peut dire que c'est une question de coût. La preuve, c'est que l'on a jamais eu de demande de devis de 2M. Donc, on ne peut pas dire que nous sommes chers ou hors de prix ! Une situation saine serait équivalente à notre relation avec la première chaîne nationale. Elle s'adresse à nous quand elle en éprouve le besoin. En revanche, 2M préfère se passer des services que nous sommes les seuls à pouvoir fournir. Et les cinéastes nationaux, pourquoi ne viennent-ils pas chez vous? C'est une autre question. Ce n'est pas le studio qui coûte cher, mais la construction du décor. Il n'y a jamais eu à ma connaissance de long-métrage national tourné en studio. Autrement, cela signifierait qu'une grande partie du budget partirait dans la construction du décor. Je prêterais Cinédina gratuitement pour un long-métrage marocain, mais il ne se ferait pas pour autant en studio parce qu'il n'a pas les moyens de supporter le coût du décor. Jusqu'à présent, tous les longs-métrages marocains se sont faits comme des films de copains. C'est-à-dire où l'on ne paie rien pour le décor. On se débrouille pour avoir la villa d'untel, les bureaux d'un autre. Vous tournez alors grâce à quels secteurs ? On travaille avec l'industrie publicitaire locale et internationale. On produit bon an mal an une douzaine de films publicitaires internationaux, en plus des pubs locales. Nous louons aussi du matériel. Ce n'est pas l'idéal, mais ça permet à la machine de tourner. Tout le monde attend le tournage d'«Alexandre le Grand» d'Oliver Stone. Si vos négociations avec lui aboutissent, est-ce qu'il va tourner à Cinédina ? C'est possible. Ça fait partie des négociations. Pour l'instant et au risque de tout faire capoter, il n'y a aucune décision qui est réellement prise. Il y a des personnes qui sont en préparation ici. Les négociations avec nous continuent. Les dates du début du tournage sont fixées pour le 22 septembre. Je pense que d'ici fin mai, les choses seront clarifiées pour nous. Qu'est-ce ça représenterait pour vous d'être comme vous le dites “exécutif” du film de Stone ? Ça représenterait une chose toute simple. Parmi les griefs que j'ai contre le CCM, je considère que jusqu'à présent la production étrangère n'a rien rapporté au Maroc, sinon une question de prestige. Nous sommes tous contents quand nous apprenons que Brad Pitt, Robert Redford, Martin Scorses ou Ridley Scott sont là. Mais concrètement, au niveau de notre industrie, on n'a rien eu. En 20 ans, tous les grands sont passés par le Maroc, mais ils n'ont rien laissé au Maroc. Parce que systématiquement lorsque ces cinéastes viennent ici, ils nous considèrent comme la dernière rangée des pays du tiers-monde. Ils traitent en général soit avec les Italiens ou les Anglais. Ces dernières années, ils passent beaucoup par les Anglais. Ces derniers font quelque chose de tout à fait naturel : ils font tourner leur industrie. En d'autres termes ? Ils ramènent tout d'Angleterre ! tout ! Ce qu'ils prennent ici, c'est ce qu'ils ne peuvent pas transporter de là-bas. C'est-à-dire les voitures, les chambres d'hôtels et les figurants. Disney qui a tourné, l'année ici, un film intitulé «Hidalgo» avec Omar Chérif a tellement ramené de choses qu'il y avait même une ambulance avec un volant à droite transportée d'Angleterre ! Bien plus, même la cantine était anglaise! Nous sommes un pays qui reçoit 4 millions de touristes et savons quand même mieux faire la cuisine que les Anglais ! Les studios Pinewood en Angleterre vivent grâce au Maroc ! On peut dire que nous vivons aussi grâce aux productions étrangères parce qu'elles laissent de l'argent chez nous. Tant mieux si elles laissent de l'argent pour la figuration, et fassent vivre quelques personnes à Ouarzazate. Mais c'est une pensée étroite qui dure depuis 20 ans et qui n'a aucune chance d'évoluer.